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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

de certaines gens ; mais, si tu t’y trouves, conserve ta gravité, ta tranquillité, et évite d’être importun[1].

XII. Quand tu dois avoir un entretien avec quelqu’un, surtout avec ceux qui passent pour les premiers de la ville, propose-toi ce qu’auraient fait en cette rencontre Socrate ou Zénon ; et ainsi, sans incertitude, tu tireras bon parti de tout événement.

XIII. Quand tu vas rendre tes soins à quelque homme puissant, représente-toi que tu ne le trouveras pas, ou que tu ne seras pas reçu, ou que les portes te seront fermées au visage, ou qu’il ne s’occupera pas de toi. Si, malgré cela, il convient que tu ailles, va et supporte ce qui t’arrive, sans jamais te dire à toi-même : « Cela n’en valait pas la peine. » Car c’est le langage d’un homme vulgaire et qui s’offense des choses du dehors[2].

  1. On sait le rôle des lectures publiques à Rome et dans l’antiquité : les anciens, n’ayant point l’imprimerie, la remplaçaient comme ils pouvaient ; du reste, les lectures publiques ont leur analogue dans nos conférences. — « On louait une salle, on y disposait des banquettes, on faisait courir des annonces, on lançait ses esclaves par la ville pour inviter les amateurs, puis, le grand jour venu, le poëte (ou tout autre genre d’écrivain) montait sur l’estrade, bien peigné, avec une belle robe blanche, un grand rubis au doigt, et, après avoir adouci sa voix par une gorgée de boisson onctueuse, il lisait ses vers d’un œil tendre et mourant. « Voyez maintenant, dit Perse, nos grands niais de « Romains se pâmer d’aise, pousser de petits cris de volupté à mesure que la tirade, avance, les pénètre et chatouille leurs sens.» L’admiration est si vive et si bruyante, que le poëte lui-même, confus de plaisir et tout rougissant, est obligé d’y mettre un terme en disant : C’est assez ! « Et c’est pour cela, s’écrie Perse, que tu sèches et pâlis sur les livres ! Où en sommes-nous ? En pallor seniumque, o mores ! » Bien plus, ces louanges sont en quelque sorte achetées : on ne les donne pas, on les vend. Les applaudisseurs sont des convives, de pauvres clients que l’amphitryon poëte nourrit et habille. « Vous servez sur votre table quelque mets délicat, vous donnez un manteau usé à un de vos clients transis, et puis vous dites : J’aime la vérité, dites-moi la vérité sur mes vers. Eh ! comment le peuvent-ils ? » (V. Martha, Les moralistes sous l’empire romain, Perse.)
  2. Ce n’est pas quand l’action est faite que le stoïcien doit dire : « Elle vaut ou elle ne vaut pas la peine d’être faite, » c’est avant de l’accomplir. La réflexion doit précéder l’acte, au lieu de le suivre. Une fois l’action examinée, si on la juge digne d’être