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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

VIII. Quant aux plaisirs de Vénus, reste pur autant que possible avant le mariage ; si tu les goûtes, que ce soit suivant la loi. Mais ne reprends pas avec importunité ceux qui en usent autrement, et ne vante pas sans cesse ta continence[1].

IX. Si on te rapporte qu’un tel a mal parlé de toi, ne te justifie point de ce qu’on a dit ; réponds seulement : « Il ignorait sans doute les autres défauts qui sont en moi ; car il n’eût point parlé seulement de ceux-là[2] »

X. Il n’est pas nécessaire d’aller souvent aux théâtres ; quand l’occasion s’en présente, parais-y, n’ayant de zèle et d’étude pour aucun des partis[3], mais pour toi-même : c’est-à-dire ne désire de voir arriver que ce qui arrive, et de voir vaincre que le vainqueur ; ainsi rien ne t’entravera. Évite tout à fait d’acclamer personne, de rire de personne, de prendre part aux grands mouvements de la foule. Et à ton retour, ne parle pas longuement des événements qui se sont passés, toutes choses qui ne contribuent en rien à rendre ton âme droite : car tu semblerais avoir été jeté dans l’étonnement par le spectacle[4].

XI. Ne va ni par hasard ni par légèreté aux lectures

  1. « Reste pur autant que possible. » Le christianisme dira avec une vérité supérieure : « Reste toujours pur. » Ailleurs Épictète lui-même, parlant du philosophe, s’écrie : « Il faut que son âme soit plus pure que le soleil. »
  2. C’est un conseil moins sublime mais plus praticable que celui de l’Évangile : « Si on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche. »
  3. Les partis des cochers verts ou des bleus, des petits ou des longs boucliers. Pour l’un ou l’autre de ces partis, pour l’une ou l’autre de ces couleurs les Romains se passionnaient : nunc favent panno, pannum amant, dit Pline le jeune (IX, 6. — Voir Tertullien, de Spectac., c. 9 ; Cassiodore, Var., l. III, epist. 51). Plus tard on se battra pour les verts ou les bleus, et au sortir de l’arène le sang coulera dans les rues.
  4. Le sage stoïcien ne doit s’étonner de rien : s’étonner, ce serait se troubler ; s’étonner d’une chose extérieure, ce serait s’abaisser devant elle et perdre son indépendance ; on connaît les vers d’Horace :

    Nil admirari prope res una…
    Solaque quæ possit facere et servare beatum.