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point de vue militaire. Dans la vie civile, son application soulève souvent aussi d’assez graves difficultés. Le patron s’irrite de sentir qu’il est en présence d’une volonté qui ne se livre qu’à demi. L’ouvrier, craignant toujours quelque empiétement, devient facilement hargneux et insolent, de sorte que, faute de pouvoir définir bien exactement le point où commencent et finissent les droits de chacun, on en arrive tout naturellement à cette guerre de classes qui est la plaie et le danger de notre époque.

Aux États-Unis, il n’y a pas, en théorie, et il n’y a jamais eu de classes, ou, pour parler plus exactement, le passage de l’une à l’autre est très fréquent et se fait avec une facilité inconnue dans les anciennes sociétés encore tout imprégnées de vieilles traditions. On serait donc tenté de croire que c’est dans ce pays que cette guerre a le moins de chances de se propager, et que les rapports entre patrons et ouvriers auraient dû s’établir le plus facilement sur ces bases de la dualité de la vie. Cela a été vrai pendant assez longtemps. Mais, du moins dans les États manufacturiers de l’Est, c’est le contraire qui est maintenant la vérité. Nulle part au monde les esprits ne sont aussi aigris. Nulle part la lutte entre le capital et le travail, ces deux géants des temps modernes, n’est engagée avec plus de fureur. En Europe, il y a encore entre eux les débris d’une foule d’anciennes institutions qui servent de tampon. Ces institutions sont plus ou moins en ruine, mais ces ruines détournent les coups des adversaires. Ainsi, il est bien certain que le mouvement social qui se fait en France est dirigé contre le capital ; et cependant les chalartans politiques qui nous gouvernent, devenus capitalistes, ont trouvé moyen de le dévier, jusqu’à