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la brèche aux buffles.

Nous leur faisons remonter à cheval la vallée. À cinq ou six cents mètres de la maison, les collines commencent à se couvrir de magnifiques futaies de sapins qui deviennent de plus en plus épaisses à mesure que nous avançons. Un industriel a eu la malheureuse idée, l’année dernière, d’établir ici une scierie qui a fourni au chemin de fer toutes ses traverses, mais il est parti maintenant, et c’est à peine si l’on distingue les traces de son passage. Le sentier que nous suivons contourne d’admirables rochers de granit gris tout parsemé de plaques de mica qui étincellent au soleil. Puis nous pénétrons dans une ravissante petite vallée verte, au fond de laquelle coule une vraie rivière, le French creek, que nos chevaux nous font traverser pour nous amener à une clairière qu’on croirait dessinée dans un parc anglais.

Du coup, nos docteurs sont enthousiasmés. C… qui a passé une partie de son existence en Suisse, est frappé comme je l’ai été moi-même de la ressemblance de ce pays avec la patrie de Guillaume Tell. Puis, comme rien ne creuse comme l’admiration, nous entrons dans les taillis de pruniers nains qui bordent le ruisseau, et, rassurés au point de vue des conséquences possibles, par la présence de tant de médecins, nous mangeons à belles dents les bonnes prunes jaunes si mûres, qu’elles fondent littéralement dans la bouche.

Nous rentrons à la nuit tombante. Notre retour est marqué par un incident. Je marchais en tête de la colonne, nous étions presque arrivés, quand, tout à coup, j’entends la crécelle d’un serpent à sonnettes : j’arrête aussitôt mon cheval et regarde autour de moi sans rien voir d’abord. L’animal était juste entre les jambes de mon pauvre bucéphale, qui, en l’entendant