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la brèche aux buffles.

recommencent jamais, de sorte que la même peut servir indéfiniment.

La seconde est plus dangereuse, parce qu’elle a une apparence candide qui trompe. En voici la recette : Vous mettez sur le feu une casserole pleine de lait. Quand le lait bout, vous videz dedans le contenu d’une boîte d’huîtres conservées et vous servez chaud ! Le patient croit à une simple soupe au lait ; il prend pour une pâte quelconque les formes indécises qu’il voit flotter dans la masse liquide : inconsciemment, il en déverse le contenu d’une cuiller dans sa bouche. Alors commence son supplice. Immédiatement une odeur de marécage d’une intensité inouïe remplit tout son être éperdu, il fait un mouvement de déglutition désespéré, puis, s’il est dans une maison particulière, — c’est habituellement dans les maisons particulières qu’on vous tend ces traquenards, — il cherche un domestique pour faire enlever subrepticement son assiette : mais en Amérique, il n’y a jamais de domestique ! et il lui faut répondre aux mots aimables de la maîtresse de maison qui lui demande invariablement ce qu’il pense de son oyster soup ! Notre plat national ! ajoute-t-elle toujours avec une complaisance marquée.

La soupe a été acceptée avec une faveur qui, douteuse au commencement, n’a pas tardé à s’affirmer. À partir de ce moment, François, sûr de son triomphe, n’a plus ménagé ses effets. Le chou et la tomate, embellis par son art, ont révélé les saveurs que développent en eux des farces savamment combinées. Nos cow-boys ont connu les douceurs du civet de lièvre ; des salmis onctueux leur ont fait apprécier la poule de Prairie sous un jour tout nouveau. Une fois même, François les a initiés aux jouissances que réserve aux