Page:Mandat-Grancey La brèche aux buffles - 1889.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
la brèche aux buffles.

de l’usine, puis on chercha à se rendre compte de la situation.

Elle n’était pas brillante. Une trentaine de soldats s’étaient échappés du fort après avoir juré de venger leur camarade. Arrivés sans être signalés, ils s’étaient embusqués dans le bar et, sans crier : Gare ! avaient tiré sur les premiers ouvriers qu’ils avaient vus. Heureusement, ceux qui restaient dans l’usine avaient des revolvers. Ils purent même se procurer quelques fusils. Pendant une demi-heure, on se fusilla à cent pas de distance sans se faire grand mal, les deux partis restant soigneusement à l’abri. On commençait à se demander comment cela finirait, quand l’ingénieur de la mine accourut effaré : il fit signe qu’il voulait parler. Le feu cessa aussitôt. Des délégués vinrent même s’aboucher avec lui :

« Messieurs, leur dit cet habile homme, il y a déjà deux ou trois mineurs de tués et autant de blessés. Du côté des soldats les pertes sont à peu près égales. Comme représentant de la Compagnie, je suis obligé de constater que vous avez déjà cassé toutes les vitres de l’usine, et, si cela continue, vous allez mettre son matériel dans le plus piteux état. Ne pourrait-on pas s’entendre ? L’exercice que vous venez de prendre a dû vous altérer ! Allons tous au bar ! J’offre à boire à tout le monde ! C’est la Compagnie qui régale ! »

C’était parler d’or. Au bout d’une demi-heure, mineurs et soldats étaient, pour la plupart, fraternellement étendus par terre, tous plus ou moins ivres-morts. L’accord se fit assez facilement ; ceux qui pouvaient encore se tenir debout allèrent décrocher le pendu : on l’enterra, on coupa sa corde en petits morceaux, et chacun en prit un. Les Américains ont grande con-