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la brèche aux buffles.

Qu’il n’y eût pas dans le nombre quelques rares naïfs qui prenaient au sérieux les communications qu’ils allaient faire au congrès, c’est ce que je ne voudrais pas affirmer. J’ai remarqué notamment, parmi les passagers de seconde, un brave homme qui avait un bonnet gris et des pantoufles en tapisserie, des lunettes bleues, le mal de mer à perpétuité, une chemise de flanelle qu’il ne changeait jamais, et un nom en er, Müller, Fischer, Bauer, ou quelque chose d’approchant. Il venait d’un village de la Bavière tout exprès pour faire aux Yankees une communication sur l’acarus de la gale, et tout le monde craignait qu’il ne transportât sur lui quelques-uns de ces insectes, à titre d’échantillon. Celui-là était un convaincu, j’en suis persuadé.

Mais les autres, qui arrivaient de Paris et lieux circonvoisins, — par lieux circonvoisins, il faut entendre toute la France, — ceux-là étaient de bons et joyeux compagnons bien décidés à ne pas s’ennuyer, ce qui est le plus sûr moyen connu de ne pas ennuyer les autres. Rien ne lie comme une traversée quand il fait beau et qu’on n’a pas le mal de mer. Au bout de deux jours, nous en étions aux confidences. Chacun d’eux m’avait régalé d’une histoire d’opérations et m’avait fait part de ses opinions sur la médecine en général et sur les médecins ses confrères en particulier. Ce que ces gaillards-là m’ont fait perdre d’illusions, nul ne le saura jamais !

Moi, je leur parlais de la Prairie. Les ombres de Fenimore Cooper, de Gustave Aymard et de tous les autres auteurs classiques me donnaient sans doute une éloquence extraordinaire, car, tandis qu’aucun de mes compagnons ne m’a inspiré l’envie d’être malade,