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la brèche aux buffles.

Je suis donc autorisé à dire que c’est un animal naturellement gai.

Voyez au contraire les baleines et les marsouins. Quand ils ne sont pas occupés à manger, il leur faut tout de suite une distraction. La baleine se met à lancer des jets d’eau par ses évents, et les marsouins ne se lassent pas de s’exercer à faire la culbute. Ils s’ennuient évidemment dès qu’ils restent seuls avec eux-mêmes. Ce sont des animaux naturellement tristes.

Or, et c’est là que je voulais en venir, l’homme, et surtout l’homme civilisé, doit être, je crois, rangé dans cette dernière catégorie. Il a besoin de distractions. Seulement notre civilisation est ainsi faite que plusieurs catégories d’hommes éprouvent quelque peine à s’offrir ces distractions, cependant si nécessaires, et cela parce que, à tort ou à raison, notre société exige d’eux une gravité d’allure incompatible avec lesdites distractions. Mais cette société, moins sévère en réalité qu’elle n’en a l’air, les tolère très bien et même les encourage, pourvu qu’on sauve les apparences en leur donnant un prétexte scientifique ou patriotique. Une demi-douzaine de notaires ou de magistrats qui quitteraient la petite ville de province où ils se morfondent d’ennui, en annonçant qu’ils vont se plonger pendant huit jours dans les délices de la capitale, seraient peut-être enviés par leurs concitoyens, — en secret, — mais, en public, on les conspuerait : on leur vote au contraire des remerciements s’ils y vont comme délégués pour assister aux obsèques d’un grand homme, ou simplement s’ils se donnent à eux-mêmes la mission d’aller renseigner leur député sur l’état de l’opinion dans leur arrondissement. À la rigueur, on leur paye même leur voyage.

Il y a une foule de sociétés scientifiques, politiques