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la brèche aux buffles.

tenant, remontant vers le Nord, nous suivons à peu près la route que je parcourais il y a quatre ans avec le vieux Kemmish. Nous longeons la base de collines couvertes d’une herbe maigre et rare, laissant voir un sol crevassé par les grandes chaleurs. Au fond des vallons, des ruisseaux d’eau saumâtre coulent lentement dans un lit trop large, entre les berges qu’ont rongées les crues du printemps. De loin en loin, sur les bords de l’un d’eux, quelque malheureux émigrant est venu s’établir, attiré par les promesses d’un prospectus menteur. On voit sa maison, une pauvre hutte (sod house) dont les murailles sont faites de mottes de gazon, car il aurait fallu aller à quarante ou cinquante kilomètres dans la montagne pour trouver un arbre. On a déjà eu bien de la peine à se procurer les maigres piquets qui servent à soutenir les rangées de ronces artificielles au moyen desquelles on a enclos une centaine d’acres le long de la voie. Pas un buisson en vue ; rien que de l’herbe. Seulement, de distance en distance, une grosse boule végétale, d’une régularité parfaite, ayant un peu l’apparence de ces touffes de gui qui envahissent nos pommiers. C’est le bundle grass. Souvent, en automne et en hiver, la racine très ténue qui la fixe en terre se casse. Et alors on voit ces boules énormes s’avancer par milliers, poussées par le vent, bondissant sur le sol et causant des terreurs folles au bétail et surtout aux chevaux. En somme, l’impression générale est lugubre.

Il n’y a pas de temps à perdre, car c’est à six heures que nous devons arriver à notre station de Buffalo-Gap je fais réveiller mes compagnons, qui, étendus dans leurs couchettes, en face de moi, dorment encore du sommeil du juste.