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la brèche aux buffles.

mais parce qu’elles sont des ouvrières et que lui est un patron.

Les hommes sont encore plus curieux à étudier. Ils ont tous cet air surmené si commun en Amérique. Ils boivent silencieusement verre de whisky sur verre de whisky ; l’ivresse arrive bien vite : on la reconnaît aux gestes qui sont incertains et aux yeux qui sont ternes, mais c’est une ivresse lourde et sombre qui tout d’un coup pourra bien devenir furieuse, mais qui jamais ne sera gaie. De temps en temps, quand une actrice ou une danseuse s’est distinguée, on voit un homme, quelquefois en guenilles, qui tire de sa poche un dollar et le jette sur la scène ; alors la femme le ramasse, le met dans sa gorge, et puis l’entr’acte venu, elle va s’asseoir sur ses genoux et boire avec lui. Si encore ils avaient l’air de s’amuser ! Mais tous ont l’air de porter le diable en terre.

Il y a des soirs cependant où la scène s’anime. Quand un pas ou une chanson sont particulièrement réussis, il arrive qu’un cow-boy enthousiasmé prend son revolver et le décharge en l’air, en signe d’admiration ; alors tous ses camarades en font autant. Souvent aussi, un dilettante jette un lasso à une danseuse et la tire dans la salle.

C’est l’impresario qui me donne ces détails pendant que la représentation continue :

The boys must have their fun ! (Il faut bien qu’on s’amuse !) ajoute ce philosophe. C’était, l’autre jour, le mot du ranchman d’Hermosa.

— Cher monsieur, ai-je répondu, je suis entièrement de votre avis. Il faut qu’on s’amuse. Mais voyez ce grand cow-boy, là, en bas. La petite chanteuse blonde un peu boulotte qui est en scène le surexcite