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la brèche aux buffles.

rut tout à coup sur lui : il avait l’air furieux. Raymond le laissa approcher ; mais au moment où il se dressait déjà sur ses jambes de derrière, il lui tira tout à coup un coup de revolver sous le nez. L’étalon stupéfait s’arrêta net, arc-bouté sur ses quatre jambes, la crinière au vent. Il était superbe ainsi. Un second coup le mit en déroute : il alla rejoindre les juments qui galopaient déjà, mais resta le dernier, pressant les poulains retardataires, toujours prêt à les défendre.

En allant rejoindre Raymond, tout étonné de me voir sortir du creek, je me rappelais ce que dit Gulliver de l’admiration qu’il a rapportée de son voyage au royaume des chevaux pour les institutions de ce pays. Il est certain que l’étalon blanc que je viens de voir me semble avoir, sur le rôle d’un père de famille, des principes beaucoup plus sages que ceux que j’ai entendu exposer ce matin au juge Hiram.

Je me souviens des incidents pénibles qui survenaient assez souvent pendant nos campagnes dans le Cambodge. Les éléphants porteurs des bagages occupaient naturellement le milieu de la route. À tout seigneur tout honneur. Les cavaliers, officiers ou spahis, marchaient à droite et à gauche. Généralement, ils avaient soin de se maintenir à bonne distance des éléphants : mais quelquefois, quand la route se resserrait, il leur fallait bien s’en rapprocher. Or les éléphants sont des animaux extrêmement farceurs. Il arrivait toujours que l’un d’eux profitait d’une inattention de son mahout pour attraper délicatement le bout de la queue d’un malheureux cheval qui trottinait innocemment devant lui ; il l’enroulait prestement autour de sa trompe, et puis, au moment où l’on s’y attendait le moins, il donnait un bon coup sec. Le cheval tombait