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place dans la société, elles devraient bien tâcher d’en occuper une plus large dans leur fauteuil. À tous les points de vue, cela serait bien désirable.

Il y a beaucoup de pauvres filles chez nous qui sont obligées de quitter leurs familles pour aller courir le monde et gagner leur vie comme directrices de postes ou comme institutrices. Je les plains de tout mon cœur et je les respecte infiniment quand elles trouvent le moyen de rester honnêtes malgré une vie aussi anormale et aussi dangereuse. Mais que dire de cette toquée qui quitte sa mère uniquement par esprit d’indépendance pour aller vivre à l’auberge au milieu de cow-boys et de mineurs ? Notez que je suis convaincu qu’elle est très honnête. Mais qu’est-ce que c’est qu’une famille constituée comme celle-là ? Les Anglais et les Américains nous parlent toujours de leur home et prétendent que la vie de famille existe si peu chez nous, que nous sommes obligés d’employer une périphrase pour rendre l’idée qu’ils expriment par ce seul mot. J’ai passé une bonne partie de ma vie au milieu d’Anglais et d’Américains, et je suis convaincu que c’est absolument le contraire qui est la vérité. Malgré toutes leurs belles théories sur la non-intervention des parents dans les mariages des enfants, ces mariages ne sont certainement pas plus heureux que les nôtres, et chez eux la famille ne consiste à proprement parler que dans le ménage. Elle n’est pas, comme cela a lieu chez nous, un centre auquel les parents, même les plus éloignés, viennent se rattacher par des liens de plus en plus faibles, il est vrai, mais qu’on s’efforce de renouer dans toutes les circonstances graves et qui ne disparaissent jamais complètement. Chez les Anglo-Saxons, au contraire, sitôt que les enfants ont quitté le