terminé ce repas extravagant par une compote d’abricots ! Ô Minnie dear, et vous, suave Annie, avez-vous au moins inscrit sur vos tablettes l’adresse de M. Shenck ? Quelle consommation vous ferez, d’ici à peu, de ses pilules antidyspeptiques !
Un peu avant six heures, nous arrivons à Altoona, où le train s’arrête quelques instants dans une grande gare construite et pavée en bois comme toutes les autres, du reste : celle-ci est bordée de maisons et d’hôtels comme une place ordinaire. Le paysage a pris, depuis quelque temps, une apparence de plus en plus grandiose. Il y a trente ans, en 1858, quand le Pennsylvania Railroad établit ici de grands ateliers de réparation pour la ligne qu’il venait d’ouvrir, le pays n’était qu’une vaste forêt absolument déserte. Maintenant, Altoona est une jolie ville de 20,000 habitants, dont les rues sont sillonnées de tramways. Une énorme locomotive vient s’accrocher à celle qui nous a amenés, car nous allons commencer l’escalade des rampes à l’aide desquelles on traverse les Alleghanies et l’on passe du bassin de l’Atlantique à celui de la mer du Mexique. Les chauffeurs bourrent leurs fourneaux d’anthracite, le seul combustible usité ; les énormes cheminées, en forme de cônes renversés, laissent échapper des flots de fumée ; les deux mécaniciens, appuyés sur leur mise en train, se consultent de l’œil, et puis, d’un tour de main sec, ils précipitent la vapeur dans les tiroirs les conductors crient à tue-tête le traditionnel All aboard ; et pendant que les voyageurs s’entassent, en grappes pressées, sur les petits escaliers qui conduisent aux plates-formes des wagons, le train se met lentement en marche, au son de l’éternelle cloche qui rappelle aux citoyens de la bonne ville d’Altoona qu’ils feront bien de se garer. Bientôt, sortant du réseau des larges rues coupées à angle droit, nous rentrons dans la forêt et abordons le versant de la montagne. Je ne sais pas quelle est au juste la cote de la rampe le long de laquelle nos deux locomotives nous entraînent, mais cela doit être quelque chose de formidable. Je ne connais, en France, que la ligne du Pecq à Saint-Germain qui puisse lui être comparée.
Quant au paysage, il est admirable. L’immense forêt de résineux que nous traversons a, malheureusement, été dévastée. Les géants qui, pendant des siècles, avaient abrité les bivouacs des Indiens servent probablement maintenant de traverses à la voie. En tout cas, on ne voit plus que leurs souches noircies par le temps. Pas-un seul arbre de belle dimension n’est resté debout. Mais, de loin, on ne s’aperçoit pas trop de ces vides, et les massifs, éclairés obliquement par le soleil qui baisse, prennent des tons ardoisés qui feraient le bonheur d’un paysagiste. Le tracé de la ligne a été dessiné avec une maestria admirable que favorise, du reste, le système de roues conjuguées par quatre, dont sont munis tous les wagons, et qui permet des courbes d’un rayon étonnamment court. Pas un ouvrage d’art important : sauf, tout en haut, un tunnel