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Louise poussa un petit soupir. Elle n’était pas jalouse de son frère ; mais cela lui faisait quelque chose de voir qu’il eût suffi de si peu de temps pour mettre entre eux un si grand intervalle. Il la mépriserait peut-être, et il ne serait plus aussi gentil avec elle.

« T’es-tu ennuyée pendant que je n’étais pas là ? lui demanda-t-il en lui prenant les mains.

—Un peu, mais pas beaucoup, parce que maman m’a raconté des histoires, et puis j’ai lu dans mon livre où il y a des images.

— Parce que, répondit Georges en se penchant pour l’embrasser, si tu t’ennuyais, M. Pichon aurait beau me dire qu’il a besoin de moi, tu peux être sûre que je ne monterais pas sur son siège, non, je n’y monterais pas. Je t’aime mieux que lui, tu comprends ! »

Louise sourit en regardant son frère, et lui déclara que puisque M. Pichon avait absolument besoin de lui, il ne fallait pas le désappointer. Il lui suffisait de savoir que son frère l’aimait mieux que M. Pichon, et qu’il ne la méprisait pas depuis qu’il savait conduire. Elle le supplia même de remonter sur le siège, et il y remonta.

Les enfants ne s’amusent pas longtemps de la même chose, et Georges fut bientôt fatigué de conduire. Il rentra dans le coupé, ayant stipulé toutefois que M. Pichon l’avertirait quand on serait sur le point d’arriver à la Silleraye, afin qu’il y pût faire une entrée triomphale, tenant les guides en main.

M. Pichon, solitaire sur son siège, se mit à ruminer, selon son habitude, et se demanda où diable les enfants pouvaient prendre ce qu’ils vous disaient.

Flatté des éloges de M. Pichon, Georges lui avait demandé s’il avait des petits garçons.

« Non.

— Et des petites filles.

— Non.

— C’est dommage.

— Pourquoi ?

— Parce que vous les auriez gâtés.

— J’ai des neveux et des nièces.

-— Vous les aimez bien, n’est-ce pas ?

— Hum ! oui, assez.

— Est-ce que vos neveux savent conduire ?

— Hum ! pas que je sache. Le fait est que je ne les vois jamais. »