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teauroux à Tours et de Tours à Châteauroux ; plus je les rumine, plus je crains d’avoir raison ; il y a des jours où cela me rend tout grognon, surtout dans la partie de mon parcours qui traverse le Berry. »

Le capitaine lui répondit très sérieusement:

« Je ne connais pas assez l’état des choses pour savoir si vous avez absolument raison ; mais tout ce que vous me dites me paraît fort vraisemblable.

— Et pénible donc ! Figurez-vous que la Silleraye se dépeuple ; les garçons qui partent pour leur sort ne reviennent plus, une fois leur congé terminé ; ils aiment mieux vivre n’importe où qu’ici. Les fils de famille, quand on ne les marie pas tout jeunes, se sauvent à Paris ou ailleurs. Aussi la plupart des jeunes filles ne trouvent point à se marier, et par moquerie l’on appelle la Silleraye la ville aux tantes. comme c’est agréable pour moi, qui aime mon pays quand même, d’entendre ces plaisanteries-là sur tout mon parcours. Quand vient l’époque des vacances, j’ai un autre crève-cœur. Tout le long du chemin, je dépose des jeunes gens en uniforme, qui viennent des écoles et qui seront plus tard des ingénieurs, des généraux, des savants, tout ce qu’il y a de beau enfin ! Jamais il n’est rien sorti de la Silleraye. Est-ce qu’il est permis à un coin de la France de ne rien donner au pays, de ne rien faire pour lui ?

— Cette observation me frappe beaucoup, dit le capitaine, et je suis absolument de votre avis.

— Voyez-vous un remède ?

— Non, je n’en vois pas.

— Est-ce que le gouvernement n’aurait pas le droit de… ?

— Le gouvernement n’y peut rien. »