Page:Maman J. Girardin.pdf/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus aucune raison de leur cacher ses projets, il les leur développe avec complaisance. Les vieux amis deviennent rêveurs et le regardent avec envie. Comme la chose menace de tourner au sentimental, M. Pichon donne un grand coup de poing sur la table, et demande une bouteille de Vouvray. Le contenu de la bouteille de Vouvray ramène une douce gaieté dans l’assistance.

« La Silleraye n’est pas loin, dit M. Pichon, en promenant le regard de son bon œil sur le visage de ses amis, toutes les fois que l’envie vous en prendra, vous n’aurez qu’à grimper dans ma vieille diligence, et vous trouverez lai-bas bon gîte et bon accueil. Je ne vous dis donc pas adieu ; je vous dis au revoir ! »

Là-dessus, il prit congé de ses vieux amis et de la matrone aux bras nus.

Après avoir fait quelques courses, il s’en alla tout droit au pont et s’accouda sur le parapet pour regarder couler l’eau qui s’en allait à Saumur.

Le lendemain matin, en entrant dans le cabinet du directeur, il y trouva Michet qui attendait, assis sur une chaise, l’air assez penaud.

M. Pichon devina que M. le directeur avait voulu préparer un coup de théâtre, et il sourit intérieurement.

M. le directeur toussa pour s’éclaircir la voix, et dit:

« Pichon, j’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit hier. Il y a du pour et du contre ; on clabaudera, on réclamera, mais je m’en moque, parce que, voyez-vous, nous n’aurons pas passé vingt-cinq bonnes années ensemble, sans qu’il en résulte, en fin de compte, autre chose que de l’eau claire. »

Michet ouvrait de grands yeux et de grandes oreilles, sans parvenir à comprendre un traître mot au petit discours de M. le directeur. M. le directeur se tourna brusquement de son côté et lui dit:

« Michet, l’homme que tu vois sur cette chaise nous a demandé pour toi la place de conducteur. Nous te l’accordons. »