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pourrait s’imaginer que vous êtes venu avec l’intention de vous faire fendre l’oreille.

— Heu ! heu ! grommela M. Pichon en regardant le directeur d’un air finaud, cela va dépendre de ce que vous me direz tout à l’heure. Sans vous commander, êtes-vous content de mon boiteux ?

— Très content ; vous avez eu raison de répondre de lui.

— Qu’est-ce qui lui manquerait bien pour être un bon conducteur ?

— Ma foi, rien du tout, que le titre et les appointements.

— Eh bien ! monsieur le directeur, il ne dépend plus que de vous que Michet soit un bon conducteur. Oui, je sais ce que vous allez me dire ; c’est un avancement bien rapide que de devenir en deux mois de garçon d’écurie, conducteur de diligence. C’est vrai, c’est bien rapide, mais c’est l’occasion qui fait le larron, et l’occasion est unique. Si vous avez bon souvenir des services que j’ai pu rendre à l’administration, pendant plus de vingt-cinq ans, mettez cela à l’avoir de mon pauvre boiteux ; fermez les yeux sur ce qui lui manque, et donnez-lui la place que je suis prêt à quitter pour lui. Je m’en irai le cœur content et vous aurez fait deux heureux. Voyez-vous, monsieur le directeur, ce garçon m’a été recommandé par une personne qui m’a rendu un grand service.

— Je réfléchirai à votre demande, répondit le directeur d’un ton solennel, et je ferai tout ce qui dépendra de moi. »

Comme tout dépendait du directeur, M. Pichon s’en retourna très enchanté de la tournure que prenait son affaire. Si le directeur avait demandé à réfléchir, c’est qu’il n’aurait pas pu dire oui du premier coup sans manquer aux règles les plus élémentaires de toute bonne administration. En effet, dans les idées de M. Pichon, bien administrer, c’est dire non quand on n’est pas absolument décidé à dire oui ; demander à réfléchir quand on est décidé d’avance, embrouiller gravement les questions les plus simples, et faire tomber le public dans les traquenards et les chausse-trappes d’un règlement auquel l’administration n’a jamais rien compris elle-même.

M. le directeur lui avait donné rendez-vous pour le lendemain matin, une heure avant le départ de la diligence.

M. Pichon alla surprendre ses vieux amis à la Pintade, « parce que, voyez-vous, comme il le leur dit lui-même avec beaucoup d’éloquence, il ne faut jamais oublier les vieux amis ! » Comme il n’a