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venir de Tours un tonneau de glace à rafraîchir, et que ses voisins, qui n’avaient jamais tourné la tête au passage de la diligence, sortirent de leur torpeur et vinrent processionnellement contempler le tonneau de glace avec des yeux effarés.

Il y a une autre chose dont on parle encore: c’est l’entrée des sept officiers de chasseurs, tous en grand uniforme. Quand ils parurent dans le grand salon, et que le capitaine Maulevrier les présenta au comte et à la comtesse, l’assistance tout entière ressentit comme une secousse électrique, et l’esprit de somnolence, qui jusque-là avait régné en maître dans la haute ville, reçut un coup mortel et chancela sur son trône. On n’avait pas vu un uniforme à la Silleraye depuis le licenciement de l’armée de la Loire !

Vu la pénurie de cavaliers, M. de Minias dansa, le substitut dansa, le neveu de Mme de Servan fit son devoir, et les brillants officiers se multiplièrent. Les demoiselles, intimidées d’abord, prirent un peu d’assurance et imaginèrent même un moyen très ingénieux de ne point faire tapisserie en attendant leur tour, qui revenait une fois sur quatre: elles dansèrent entre elles. Comme elles étaient presque toutes jolies et habillées avec goût, le bal présentait un spectacle charmant, quoique un peu étrange.

Les plateaux de rafraîchissements circulaient après chaque danse on devait bien cela au zèle infatigable des danseurs ; il en résulta que les joues s’animèrent et que les langues se délièrent peu à peu.

On vit rire les chanoinesses ; M. de Minias, le visage pourpre et rayonnant, dit confidentiellement au magistrat, de manière à être entendu de vingt personnes, que cette petite fête ne serait pas la dernière.

Tandis que les jeunes filles se livraient avec délices au plaisir tout nouveau de la danse, les papas et les mamans philosophaient en dégustant des glaces ; et, sous l’influence bienfaisante d’un punch généreux, des projets de sauterie naissaient subitement dans des cerveaux où jamais jusque-là n’avait germé ce genre de végétation.

« J’avais toujours pensé, dit une bonne grosse maman à sa voisine, que la jeunesse a besoin de distractions. »

Justement la voisine l’avait pensé et les voisins de la voisine aussi. À la fin, il se trouva que tout le monde l’avait pensé ; quelques-uns même se souvinrent de l’avoir dit, sans préciser dans quelle circonstance.