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croupes de ses chevaux ; puis, au bout de vingt minutes, il reprit:

« Tel que vous me voyez, je suis de la Silleraye.

— Ah ! » répondit le capitaine.

Nouvelle contemplation de vingt minutes, au bout desquelles Pichon se hasarda à dire: « Je suis de la Silleraye, et je m’en vante.

— À tous les cœurs bien nés que la patrie est chère !

— Vous dites ? demanda Pichon d’un air soupçonneux.

— Je dis qu’un homme de cœur aime toujours son pays. »

Ayant examiné cette pensée sous toutes ses faces et n’y ayant trouvé rien de suspect, Pichon se risqua à dire:

« Je suis de la Silleraye, et je m’en vante parce que ce sont tous des braves gens dans ce pays-là ; mais, ajouta-t-il d’un ton confidentiel, je ne voudrais pas être condamné à y vivre toujours, toujours.

— Pourquoi donc ? demanda le capitaine d’un air surpris.

— C’est un peu mort !

— Bah ! reprit le capitaine en riant, c’est mort comme toutes les petites villes, je suppose.

— Non, non, dit gravement Pichon, c’est plus mort que toutes les petites villes. Buzançais, Chàtillon, Loches, Cormery ne sont pas des ports de mer bien bruyants, mais ce n’est pas si mort que la Silleraye.

— À quoi attribuez-vous cela ?

— Il y en a qui disent que c’est un sort que l’on a jeté sur la ville, mais moi, je ne crois pas à ces sottises-là. D’autres prétendent que c’est parce que la ville est coupée en deux, ville haute et ville basse ; mais je connais des villes coupées en deux qui ne sont pas mortes. Non, non, ce doit être autre chose que cela. Quand nous entrerons à la Silleraye, et que nous ferons un vacarme infernal sur les pavés pointus, vous verrez si un seul individu regarde par la fenêtre ou accourt sur le pas de sa porte.

— C’est à ce point-là ?

— Parole d’honneur, c’est à ce point-là. Tenez, après les premières maisons, il y a une ruelle qui descend au bord de l’Indre, je vous préviendrai quand nous y arriverons. Que jamais je ne boive un verre de bon vin si nous ne voyons pas, au bout de la ruelle,