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M. Pichon ne paraissait pas encore, Michet prit la feuille de route et fit l’appel des voyageurs.

« Il est temps, » se dit M. Pichon, et il dégringola l’escalier.

« Tout est-il prêt ? demanda-t-il d’un ton d’autorité.

— Tout est prêt, lui répondit Michet.

— Alors, montons. »

M. Pichon avait repris le gouvernement de son attelage. Mais, à un kilomètre de Châteauroux, il fut repris de son accès de somnolence.

« Mon garçon, dit-il à Michet d’un ton sérieux, j’aime mieux le parler franchement. Je me fais vieux et je me ressens des atteintes de la vieillesse. J’ai des absences et des oublis, croirais-tu ? Je me sens dans un de mes accès, et voilà pourquoi je t’ai pris avec moi. C’est un grand service que tu me rends. »

Michet prit ses paroles au pied de la lettre et rougit de plaisir en pensant qu’il rendait service à son bienfaiteur. Pendant ce temps là, le vieux fourbe riait sous cape du succès de sa ruse, et se disait, les yeux à demi fermés: « J’aime mieux ne pas lui donner d’espérances ; si mon coup manquait, le pauvre bonhomme serait trop triste de redevenir gros Jean comme devant, et de retourner à l’écurie. »

L’accès de M. Pichon dura quatre jours entiers. Le soir du quatrième jour, il alla trouver le directeur et lui dit: « Cette fois j’ai un suppléant.

— Qui est-ce ?

-—Un nouveau venu, qui conduit très bien, qui a bonne mémoire, et qui plaît à tous les voyageurs. Je viens de le voir à l’œuvre pendant quatre grands jours.

—C’est ce boiteux en chapeau rond que j’ai vu ce matin avec vous ?

— C’est lui.

— Il est bien jeune.

— Il deviendra plus vieux à chaque tour de roue ; d’ailleurs, étant tout jeune, il ne s’en fera pas accroire comme cet ostrogoth qui arrivait de Paris.

— Il est boiteux !

— J’ai connu, et vous aussi, des conducteurs boiteux ; celui-ci est agile comme un cerf.