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« Mais, mon oncle, c’est de la folie ! s’écria-t-elle en voyant le grand déballage de joujoux.

— Tu trouves ? demanda l’oncle avec une bonhomie narquoise.

— C’est trop beau pour eux.

— Que non ! » reprit l’oncle en faisant le gros dos d’un air modeste.

Il se méprenait sur le sens des paroles de sa nièce. Il croyait qu’elle s’émerveillait de sa prodigalité, et il faisait le modeste. Mais la sage ménagère trouvait que c’étaient là des joujoux d’enfants riches, dangereux pour des enfants pauvres. Oui, dangereux ! comme tout objet qui peut faire naître dans l’âme d’un enfant des sentiments de vanité, d’orgueil, pendant qu’il le possède ; et d’amer désappointement dès qu’il ne le possède plus, et n’a aucun espoir de jamais posséder rien de pareil. Et le mal que peuvent faire des jouets trop riches ne se borne pas à une seule âme. Ils provoquent des comparaisons fâcheuses dans l’âme des petits camarades, et peuvent faire germer l’envie, la jalousie et la haine.

Voilà à quoi pensait la sage ménagère en regardant les joujoux.

« Se douterait-elle qu’ils n’ont pas été achetés pour ses enfants ? Elle est si fine ! » Cette réflexion fit passer un frisson dans le dos du coupable.

Mais Mme Pichon prit bien vite son parti ; et si une ombre légère passa sur son front, cette ombre fut bientôt dissipée.

L’oncle Pichon avait cru bien faire, et, en toutes choses, il ne faut voir que l’intention.

« Vont-ils être heureux ! » s’écria-t-elle avec un sourire aussi aimable que si elle eût été réellement charmée jusqu’au fond de l’âme.

L’oncle respira et dit : « Je n’entends rien à toutes ces machines-là, je voulais te demander de faire le partage. »

Elle fit le partage, séance tenante, avec beaucoup d’équité.

« Mais tu ne fais que trois parts, s’écria tout à coup l’oncle Pichon.

— Sans doute, une pour Michel, une pour Jacques et une pour ce gros-là. Et elle profita de l’occasion pour administrer un bon gros baiser à ce gros-là qui mâchonnait en ce moment une poupée de caoutchouc.

— Et André, ma fille, tu l’oublies donc ?