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« Mes enfants, dit-il, je vais dans un instant vous proposer que]que chose ; mais comme je veux que vous choisissiez au mieux de vos intérêts et non pas pour me faire plaisir, voici ce que je veux que vous sachiez d’abord ; pesez bien mes paroles. Mon testament est fait…

— Ne parlons point de testament, dit Mme Pichon avec un mouvement de répugnance.

— Ma chère petite, reprit l’oncle en lui caressant la main, on ne meurt pas pour avoir fait son testament ; au contraire, on vit plus tranquille. D’ailleurs les affaires sont les affaires, et nous sommes en affaires pour le moment. Mon testament est fait, il est fait en votre faveur…

— Mon oncle, ce n’est pas bien de venir nous dire cela, au moment où nous vous recevons de si bon cœur et sans arrière-pensée d’intérêt. »

Elle s’était levée, toute rose d’indignation et pleurant presque de dépit. Elle était plus que jolie en ce moment, elle était belle, et d’un beauté si touchante que le vieux philosophe la regarda pendant quelques instants avec une profonde admiration, sans songer à lui répondre.

— Mon enfant chérie, dit-il enfin, si je n’avais pas été sûr, dès le premier moment, de ce que tu viens de me dire, je n’aurais jamais osé parler ici de mon testament. Je ne suis qu’un vieux conducteur sans éducation, mais je ne suis pas une brute ; là, bellement, ma mignonne, ne te fais pas de chagrin. Je t’ai jugée sur ta figure, sur tes actes et sur tes paroles, et je vois bien que l’argent n’est rien pour toi.

— Ni pour lui ! dit la jeune femme en désignant son mari d’un geste plein de fierté.

— Ni pour lui ! reprit chaleureusement le bonhomme. Assieds-toi maintenant, ma fille. J’ai donc fait ce que je viens de vous dire, et rien ne sera changé dans mes dispositions, absolument rien, quand bien même vous refuseriez ce que j’ai à vous proposer. »

Ici, il fit une petite pause, comme un orateur qui va attaquer la partie essentielle de son discours ; et, tirant de sa poche son grand mouchoir à carreaux, il se moucha bruyamment, car il était fort ému.

« Je sais un endroit, reprit-il lentement, un endroit qui n’est pas