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de Lucien, ramassant le sable de l’allée et le vidant à pleins seaux sur la table. Quand le monceau de sable leur parut d’une grosseur suffisante, ils recueillirent des cailloux ; ensuite ils cassèrent des brindilles de buis et de myrte (maman l’avait permis). et vinrent s’asseoir devant la table.

Ils avaient souvent raconté à Lucien leur voyage de Tours à la Silleraye ; cette fois-ci, ils allaient lui en représenter la topographie. Ils commencèrent par étaler le sable sur toute la longueur de la table ; ensuite Louise posa soigneusement à l’un des bouts un petit rond de cailloux, et dit à Lucien: « Voilà Tours, c’est de là que nous partons. »

Lucien fit un signe de tête. Alors Louise, avec le manche de sa petite pelle de bois, traça une grande ligne qui partait de Tours et qui aboutissait à deux pouces de l’autre bord de la table.

« Voilà la route de Tours à la Silleraye, » dit Louise en désignant du doigt la trace du manche de pelle ; et elle regarda Lucien de ses yeux souriants pour voir s’il avait bien compris. Lucien fit un signe de tête, cela voulait dire qu’il avait bien compris.

Ensuite les deux enfants, recueillant leurs souvenirs, et quelquefois recourant aux lumières de leur maman, indiquèrent tous les relais par des ronds de cailloux, plus petits que le premier. La Silleraye eut pour sa part une tuile qui figurait la ville haute, et un amas de petits cailloux qui était censé représenter la ville basse. Cet ensemble de constructions couvrait une superficie quadruple au moins de celle qu’occupait la ville de Tours. C’était une monstruosité géographique, mais il faut bien faire la part du patriotisme de clocher.

« Maintenant, dit Georges d’un air important, il va falloir planter des arbres tout le long de la route, Lucien plantera les environs de la Silleraye, Louise les environs de Tours, et moi qui ai les bras plus longs que Louise, je planterai la partie de la route qui est au milieu de la table. »

On fit trois parts des brindilles de myrte et de buis et l’on se mit à l’ouvrage. Le pauvre Lucien, avec ses longues mains blanches, affaiblies et maladroites, avançait bien lentement, et cependant il y allait de tout son cœur ; son nez se pinçait du bout, il se mordait les lèvres, ses yeux brillaient, et il oubliait par moments de respirer, ce qui lui faisait pousser de gros soupirs par intervalles.