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à un pauvre enfant malade qui est le neveu de Mme de Servan. Tous les jours on amène le petit infirme pour jouer avec les enfants. Mais il est facile de voir que ce pauvre enfant sans mère a plus besoin d’affection que de distractions. Il aime bien les enfants, mais il préfère leur mère. Il ne la quitte pas du regard, et il l’appelle sa maman. »

M. Pichon, très ému, chercha dans sa tête une expression qui rendit sa pensée. Son répertoire n’était ni très riche ni très choisi ; aussi le mot qu’il trouva manquait tout à la fois d’élégance et de précision ; mais du moins il exprimait un sentiment profond et sincere.

« Pauvre trognon ! » murmura-t-il, en s’essuyant furtivement l’œil gauche avec le manche de son fouet.

Les deux interlocuteurs gardèrent de nouveau le silence pendant un gros quart d’heure.

« Mme Gilbert a une sœur, » dit vaguement M. Pichon, comme s’il se parlaità lui-même. Le capitaine ne répondit rien et continua à regarder devant lui.

« Une sœur plus jeune qu’elle, » insinua M. Pichon au bout d’un autre quart d’heure. Le capitaine fit semblant de n’avoir pas entendu l’insinuation, et reprit du ton le plus naturel:

« Ils ont encore trois autres amis dont je ne vous ai pas encore parlé ; d’abord, M. et Mme Pascaud.

— Les Pascaud sont de braves gens, dit sentencieusement M. Pichon, et les autres percepteurs ont eu grand tort de les mépriser.

M. Pascaud, reprit le capitaine, donne des leçons d’écriture et d’arithmétique aux enfants.

— Pascaud est un homme capable, dit M. Pichon en secouant la tête d’un air approbateur. Je ne suis pas en état d’en juger par moi-même, mais sa femme me l’a répété plus de cent fois. Et puis, franchement, après une vie comme la sienne, il méritait bien cette douceur-là dans sa vieillesse. Mon capitaine, ajouta-t-il en changeant de ton, et en prenant un air mystérieux, voilà que moi aussi je commence à entrer tout doucement dans la vieillesse. J’ai amassé assez de bien pour vivre tranquille, et je suis tout à fait décidé à quitter mon siège de conducteur, et à venir planter mes choux à la Silleraye.