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Mme Gilbert le caressa et lui dit : « Tu me reconnais donc ? »

S’il la reconnaissait ! il avait rêvé d’elle, depuis le premier jour où il l’avait vue ; et vingt fois il avait médité l’escapade qu’il venait d’accomplir si heureusement.

La joie de la pauvre bête était si naïve, si complète, si folle, que Mme Gilbert n’eut pas le courage de la renvoyer tout de suite.

« Voulez-vous avoir la complaisance, dit-elle au jeune garçon boiteux, de prévenir ses maîtres.

— Certainement, madame, répondit le boiteux, je puis même l’emmener tout de suite ; si vous voulez.

— Non, prévenez-les seulement qu’il dînera ici.

— Il a de la chance ! » dit le jeune garçon moitié en riant, moitié sérieusement.

Mme Gilbert fut frappée de cette parole, et regarda le jeune garçon plus attentivement. Il avait une honnête physionomie, mais il était pâle, et il avait les joues creuses.

« Pourquoi dites-vous qu’il a de la chance ? lui demanda-t-elle avec intérêt.

— Parce qu’il fera un bon dîner, » répondit l’autre ingénument.

Encore une fois Mme Gilbert le regarda avec attention.

« Eh bien ! lui dit-elle en souriant, voulez-vous faire un bon dîner aussi ?

— Oh ! madame, répondit-il en devenant tout rouge, ne croyez pas que j’aie dit cela pour dîner, je plaisantais. Je… quoique, à vrai dire, un bon dîner est bon pour ceux qui dînent quelquefois par cœur.

— Vous irez donc prévenir à l’hôtel pour qu’on ne soit pas inquiet au sujet du chien, et puis vous reviendrez dîner, et vous reconduirez le chien après. »

Le boiteux détala lestement, fit sa commission et revint s’attabler avec Marie. Pour payer sa bienvenue, le pauvre diable, qui avait beaucoup d’esprit naturel, trouva des choses si amusantes que Marie riait aux larmes. Vers la fin du dîner, Marie lui fit conter son histoire.

Elle avait les yeux rouges quand elle vint au salon prier madame de vouloir bien sortir un instant, parce que le pauvre garçon avait à lui dire quelque chose.