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dire qu’il est inconvenant de courir et de rire tout haut. Si maman voulait, cependant ! »

Justement, « maman voulait », mais, après mûre réflexion, elle se sentit fort embarrassée pour accomplir la promesse qu’elle avait faite à son mari.

En principe, elle était bien décidée à offrir à ses deux jeunes enfants les distractions qui convenaient à leur âge, et même il y avait déjà quelque temps qu’elle y songeait. L’apathie, qui faisait le fond de presque tous les caractères à la Silleraye, l’avait seule empêchée de chercher les voies et moyens pour mettre son projet à exécution. Après la crise de la veille, elle ne pouvait plus reculer.

Or, la veille, dans la chaleur de l’improvisation, elle avait trouvé tout naturel de s’adresser à Mme de Servan ; aujourd’hui les difficultés se présentaient en foule à son esprit. Ses réflexions tournèrent très vite à l’examen de conscience. Comment, depuis des années, n’avait-elle pas songé, une seule fois, combien la vie devait être triste pour le pauvre petit malade, qui n’avait pas un seul camarade pour jouer avec lui ? Comment s’était-elle toujours bornée à demander de ses nouvelles et à exprimer une froide pitié et une sympathie stérile ? De quel droit irait-elle dire maintenant à la tante du pauvre infirme: « Mes enfants s’ennuient, aidez-moi à les distraire ? »

Mme de Servan n’aurait-elle pas le droit de lui répondre: « Tant que vous avez cru pouvoir vous suffire à vous-même, vous vous êtes renfermée dans votre maison, en égoïste ; si vous ouvrez aujourd’hui votre porte, c’est parce que la nécessité vous y contraint, et que vous avez besoin de nous ? » À supposer que Mme de Servan, par politesse, s’abstînt de tenir ce langage, elle ne pourrait toujours pas s’empêcher de penser que sa voisine était une solliciteuse’ intéressée, car c’était la pure vérité. À cette idée, les joues de Mme la comtesse de Minias se couvrirent d’une rougeur brûlante, son orgueil se révolta, et elle essaya de se tourner d’un autre côté.

Pourquoi, par exemple, ne chercherait-elle pas des camarades pour ses enfants dans quelqu’une des familles de la ville haute ? Elle les passa toutes en revue, mais elle fut fort déconcertée d’arriver au bout de la liste sans avoir rien trouvé de ce qu’elle cherchait. Tantôt c’étaient les parents qui lui déplaisaient, tantôt les enfants. Il y avait même des familles sur lesquelles elle ne pouvait se faire aucune opinion, quoique l’on échangeât des visites