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comme elle, ne songèrent pas un seul instant à sourire de son enthousiasme ; ils la connaissaient et l’estimaient depuis trop longtemps pour se demander s’il n’y avait pas dans cet enthousiasme un tout petit peu d’engouement. « Voyez-vous ça ! » disaient-ils en secouant gravement la tête ; et une à une ses paroles entraient profondément dans leur mémoire pour n’en plus jamais sortir.

Quand elle releva fièrement la tête et dit qu’il s’était enfin rencontré un homme pour rendre justice à son mari, pour le consulter comme un oracle, pour lui confier ses enfants en ce qui concerne l’écriture et une autre chose dont elle avait oublié le nom, les vieux amis ne se demandèrent pas si l’enthousiasme de Mme Pascaud ne serait pas, par hasard, un tout petit peu intéressé. Non ! ils ne se demandèrent pas cela, car ils étaient bons et simples comme elle, et ils croyaient mot pour mot tout ce qu’elle leur disait, parce qu’elle n’avait jamais menti de sa vie, et qu’à sa place ils auraient pensé et parlé comme elle.

« On devait bien ça à Pascaud ! dirent-ils en toute sincérité et sans le moindre sentiment d’envie.

— Oui, on lui devait bien ça, répliqua Mme Pascaud sans fausse modestie, mais voilà le premier percepteur qui lui rende justice, et pourtant nous en avons vu passer ici des percepteurs de toutes les tailles et de toutes les couleurs !

— Oh oui ! nous en avons vu passer ; mais il est à croire que les hommes justes sont rares, dans la perception comme ailleurs. Du moins celui-là a bien l’air d’être un homme juste.

— C’en est un, répéta gravement la brave créature. En voulez-vous une preuve de plus ? Il a dit à Pascaud : « Vous n’êtes pas payé selon votre travail, et j’aviserai à augmenter vos appointements. » Ça n’a l’air de rien, n’est-ce pas ? Eh bien, Pascaud m’a expliqué que l’augmentation sortira de la poche du percepteur. Le percepteur reçoit une somme, et là-dessus il paye le commis et les frais de bureau. Est-ce un homme juste celui qui fait cela ?

— C’est un homme juste, et un homme généreux.

— Pascaud voulait refuser. M. Gilbert lui a dit : « C’est à prendre ou à laisser. Vous accepterez ou nous nous dirons adieu ! » Ce qu’il y a de bon, c’est qu’avant de savoir à quelle crème de braves gens nous aurions affaire, je montais Pascaud contre le percepteur, je lui recommandais d’être raide comme un crin et de tout planter là,