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LXXXII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

vient de Limoges ; mais le Limousin a bien changé depuis. Ce pays élevé, froid, pluvieux, avait longtemps souffert, si longtemps disputé entre la France et l’Angleterre, théâtre de guerres continuelles, longtemps incertain entre les deux partis contraires. De là cette indécision que raille Molière. Mais ce caractère a disparu avec les causes qui le produisaient, et la gloire littéraire de cette province n’a rien à envier aux autres. « Le caractère remuant et spirituel des méridionaux est déjà frappant dans le bas Limousin. Les noms des Ségur, des Sainte-Aulaire, des Noailles, des Ventadour, et surtout des Turenne, indiquent assez combien les hommes de ce pays se sont rattachés au pouvoir central, et combien ils y ont gagné. »

C’est au Limousin que nous devons le savant et laborieux Baluze. À Bort est né Marmontel, l’ingénieux et spirituel conteur, qui, sans être dans aucun genre un écrivain supérieur, les cultiva presque tous avec quelque succès ; à Brive, Treilhard, dont le nom est attaché à la législation qui nous régit ; Charles de Lasteyrie, le savant agronome, qui consacra son talent à l’instruction des campagnes, et son fils, le savant auteur de l’Histoire de la peinture ; à Grimont, l’abbé de Feletz, le spirituel feuilletoniste du Journal des Débats, le critique fin et ingénieux, dont les articles réunis ont formé un livre aussi solide qu’intéressant ; à Cosnac, enfin, Cabanis, l’immortel physiologiste, à qui la philosophie et la religion ont pu reprocher des erreurs d’autant plus regrettables que son talent et sa puissante conviction les ont rendues contagieuses, mais qui a enrichi la science d’une foule d’observations aussi utiles que profondes.

Pour le haut Limousin, les noms de Muret, de d’Aguesseau, de Vergniaud, sont une éclatante réponse aux railleries de Molière. Si le nom de Muret, le latiniste, semble sortir de notre cadre, quel pays ne serait fier d’avoir produit le vertueux et intègre d’Aguesseau, dont l’éloquence, peut-être un peu compassée, a su cependant trouver des accents si vrais et si majestueux pour peindre la majesté de la vertu et enseigner aux magistrats leurs devoirs ? Et Vergniaud, l’entrainant orateur, le chef brillant de la Gironde, dont la poétique et sublime éloquence suffirait pour faire la gloire d’une grande assemblée, et qui peut-être aurait égalé le plus grand orateur des temps modernes, Mirabeau, sans son indifférence pour la gloire, et si les fureurs révolutionnaires lui en avaient laissé le temps ? Citons encore un nom contemporain, l’habile et savant économiste Michel Chevalier, l’un des chefs de l’école moderne, l’un des plus ardents et des plus puissants promoteurs de la liberté des échanges et du commerce.


Périgord, Guyenne, Gascogne, Béarn, Bigorre, Rouergue, Roussillon. — Nos provinces du sud-ouest, assimilées entre elles par le climat et la position, par la langue et l’accent, longtemps unies sous la domination des Wisigoths, des ducs d’Aquitaine, des Anglais, ne peuvent être séparées, et les différences qui les distinguent ne sont que des nuances qu’il serait difficile de faire sentir sans entrer dans de longs et minutieux détails. Peuple léger et charmant, plein de vivacité, d’esprit, d’imagination, touchant à tout sans approfondir ; religieux ou incrédule par caprice, par occasion ; consacrant la finesse et la subtilité de son esprit à la conduite et aux succès dans le monde ; unissant à la vivacité et aux élans des peuples méridionaux la gaieté et le bon sens de l’esprit français ; terrible parfois et emporté dans ses passions, mais bientôt calmé ; il semble qu’après avoir passé sous tant de maîtres différents sans avoir le temps d’en recevoir une empreinte durable, il n’en ait retenu que l’inconstance.

« La Guyenne, le pays de Montaigne et de Montesquieu, est celui des croyances flottantes. Fénelon, l’homme le plus religieux qu’ils aient eu, est presque un hérétique. C’est bien pis en avançant vers la Gascogne, pays de pauvres diables, très nobles et très gueux, qui tous auraient dit comme leur Henri IV : « Paris vaut bien une messe… » En effet, malgré ce qu’on pourrait trouver peut-être d’exagéré dans le tableau tracé par l’illustre historien (Michelet), la plus haute personnification de ce génie hardi, rapide, léger, paraît être Montaigne, avec son esprit prime-sautier, si vif et si piquant. Il est douteur par nature, par instinct, par répulsion pour toutes ces affirmations hardies qui se posent autour de lui. « Ses Essais, dit M. Demogeot, sont le premier et peut-être le meilleur fruit qu’ait produit en France la philosophie morale. C’est le premier appel adressé à la société laïque et mondaine sur les graves matières que les savants de profession avaient jusqu’alors prétendu juger à huis clos. Le principal charme de cet ouvrage, c’est qu’on y sent à chaque ligne l’homme sous l’auteur. Ce n’est point un traité, encore moins un discours ;