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LXIX
INTRODUCTION

Sur plusieurs points la lutte s’engage entre la garde municipale et les citoyens. Le roi consent enfin à renvoyer M. Guizot ; mais si cette mesure tardive satisfait la garde nationale, elle ne suffit plus aux républicains, maîtres du mouvement. Ils organisent une manifestation, qui, dissipée par la fusillade du boulevard des Capucines, devient le signal d’une révolution nouvelle. Dans la nuit du 23 au 24 février, Paris se couvre de barricades. Des armées marchent sur les Tuileries ; en vain des gardes municipaux se dévouent sur la place du Palais-Royal pour sauver cette monarchie qui ne sait ni se défendre ni périr. Leur mort héroïque ne fait que précéder sa chute, Paris apprend le même jour et l’abdication du roi, et la régence, et la république.

Hâtons-nous cependant de rendre justice à ce règne : les arts, le commerce et l’industrie florissants, de grands travaux entrepris et achevés, nos premiers chemins de fer construits, l’enseignement primaire organisé, l’Arc de triomphe, l’église de la Madeleine, le musée de Versailles, les fortifications de Paris, la colonne de Juillet, la statue de Napoléon replacée sur sa colonne, les restes du grand homme ramenés en France, l’occupation d’Ancône, l’expédition d’Anvers, le combat de Mazagran, la victoire d’Isly, le siège de Saint-Jean-d’Ulloa, le bombardement de Tanger, la conquête et la pacification de l’Algérie, la soumission d’Abd-el-Kader ; voilà des actes qui lui feront pardonner bien des fautes par l’impartiale postérité !...



SECONDE RÉPUBLIQUE.

Jamais révolution n’avait été plus soudaine et plus imprévue : tiers parti, opposition constitutionnelle, radicaux eux-mêmes ne croyaient pas que la chute de la monarchie de Juillet fût si imminente, et grand fut l’étonnement des Parisiens lorsque, en se réveillant le 25 février, ils se virent en pleine république.

Après les événements du 24, — l’invasion des Tuileries et de la Chambre par le peuple, — les chefs de l’insurrection s’étaient portés à l’Hôtel de ville. C’est là, dans un conseil tenu par quelques députés de l’opposition et par quelques écrivains de la presse républicaine, qu’un gouvernement provisoire avait été nommé d’urgence. Ce gouvernement se composait MM. de Lamartine, François Arago, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Marie, Armand Marrast, Crémieux, Louis Blanc, Flocon et Albert. Bien qu’il n’eût point mandat pour changer la forme politique de la France, s’inspirant des circonstances ou plutôt paraissant céder au vœu du peuple, dont quelques bandes armées sur la place de l’Hôtel-de-Ville demandaient à grands cris la république, il prit sur lui de la décréter, en en réservant cependant la sanction à une assemblée constituante qu’il convoqua pour le 4 mai, jour mémorable dans les fastes des assemblées délibérantes : — c’était l’anniversaire de l’ouverture des états généraux de 1789. — Alors, par un effet de cet amour du changement qui caractérise l’esprit français, les adhésions et les offres de service vinrent en foule au nouveau gouvernement. La multitude arbora ses couleurs et lui souhaita la bienvenue. Ces acclamations paraissaient sincères, — et comment une république qui avait pour représentant et pour interprète devant la France et devant l’Europe le poète des Méditations et des Harmonies n’eût-elle pas rallié tous les cœurs honnêtes et rassuré tous les intérêts ? — Jusque-là les plus timides n’avaient point séparé l’idée républicaine des violences de 93 ; mais, en voyant le gouvernement provisoire abolir la peine de mort en matière politique et recommander le respect des propriétés, l’oubli du passé, l’union, la paix, la concorde, ils commencèrent à comprendre que la république pouvait exister non comme une dictature sanglante et terrible, mais comme une forme de gouvernement sage et appropriée aux progrès de la civilisation d’un peuple éclairé. Toutefois, les difficultés étaient immenses. À peine installé, le gouvernement provisoire eut à lutter contre son propre parti. Celui-ci, qui ne voyait dans la révolution de Février qu’une révolution sociale, et dans la république qu’un moyen pour arriver à son but, commença par demander le drapeau rouge. Repoussé dans sa tentative par l’héroïque parole de M. de Lamartine, il se réfugia dans les clubs et dans les ateliers nationaux et y conspira. Cependant le gouvernement provisoire eut l’habileté de prévenir toute collision tant que la responsabilité du pouvoir pesa sur lui, et il sut dominer les partis par l’ascendant des divers noms qui se rencontraient dans son sein. Il fut beau d’avoir maintenu la paix ; il l’eût été davantage d’imprimer aux événements une marche plus certaine, et de préparer l’avenir par un peu plus d’énergie et d’audace. Il y avait encore des esclaves dans les colonies françaises le gouvernement pro-