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LXIV
LA FRANCE ILLUSTRÉE

armée et s’en empare. Le pape se refuse à l’exécution du blocus, afin de rester neutre. Il est saisi, amené en France et Rome occupée par nos soldats. Mais rien n’obligeait Napoléon à se mettre en guerre avec l’Espagne. À la vérité, la faiblesse de Charles IV et l’inconséquence du misérable Godoï faisaient de ce pays un allié fort incommode. C’était pour l’Angleterre un pied à terre sur le continent. Une querelle éclate entre Charles IV et son fils, proclamé sous le nom de Ferdinand VII. Napoléon les appelle comme arbitre à Bayonne et donne une exacte représentation de la fable de l’Huître et les Plaideurs. Il les amène l’un et l’autre à abdiquer et adjuge à son frère Joseph le trône d’Espagne. Murat passe sur celui de Naples. La nation espagnole se sentit profondément blessée dans son indépendance et commença contre nos soldats cette résistance opiniâtre qui consuma une partie des forces de la France et qui fut une des principales causes de la chute de Napoléon.

L’Autriche, soldée par l’Angleterre, reprit les armes quand elle vit Napoléon au fond de la Péninsule. Eckmühl, Essling, Wagram nous la livrèrent une seconde fois. Ces victoires n’étaient plus les chefs-d’œuvre de Marengo, d’Ulm et d’Austerlitz. Les vieux soldats de la République, avec lesquels Napoléon avait pu oser toutes les hardiesses, disparaissaient dans les combats, et surtout en Espagne ; de jeunes soldats les remplaçaient, braves aussi, mais non plus aguerris et trempés comme les autres. Napoléon crut enchaîner l’Autriche par un lien de famille en épousant l’archiduchesse Marie-Louise. Faible lien bientôt rompu. Ce fut une grande faute ; car le peuple, qui aimait Joséphine, ne vit dans son abandon qu’une vanité du monarque parvenu, jaloux de mêler son sang à celui des Césars. L’idée dynastique perdit Napoléon.

En 1811, l’empereur Alexandre, sans rendre la Finlande et le reste, fit défection à son tour, passa aux Anglais et fit brûler les produits de l’industrie française. « J’aimerais mieux recevoir un soufflet sur la joue, s’écria Napoléon, que de souffrir qu’on anéantit le fruit du travail de mes sujets. » Il se lança donc dans cette gigantesque campagne de Russie, qui pouvait réussir et qui eût été, dans ce cas, sa meilleure entreprise. On sait ce qui arriva. — Après avoir battu les Russes à Smolensk, à la Moskowa et fait son entrée dans Moscou au chant de la Marseillaise, l’armée française fut obligée de se retirer. C’est alors que « le général Hiver » vint au secours des Russes. Plus de trois cent mille Français restèrent sous les neiges : le reste n’échappa à ce grand désastre que grâce au courage héroïque du maréchal Ney. Il fallut, en 1813, faire la guerre en Allemagne, et avec des conscrits. Ils furent admirables aux batailles de Lutzen et de Dresde ; mais, faute de cavalerie (elle avait été toute perdue en Russie), elles n’eurent que peu de résultats. En 1814, il fallut reculer derrière le Rhin et faire la guerre sur le territoire français. Napoléon se montra aussi grand capitaine dans cette guerre défensive, marquée par les victoires de Champaubert, Montmirail, Château-Thierry, Vauchamp, Craonne, que dans l’offensive. Mais Paris capitule. Napoléon est obligé d’abdiquer à Fontainebleau, et tombe du trône de France sur celui de l’île d’Elbe. Déjà les intrigues de M. de Talleyrand avaient préparé le retour des Bourbons : il trouva dans les souverains alliés d’utiles coopérateurs, et Louis XVIII arriva. Ce prince, libéral et sage, mais d’abord mal conseillé, débuta par dater son règne de la dix-neuvième année. Son premier règne fut court, grâce aux fautes que lui fit commettre le parti royaliste. Un an ne s’était pas écoulé que Napoléon, regretté par l’armée et par le peuple, revenait triomphalement de l’île d’Elbe. Plus disposé en faveur de la liberté, il convoque l’Assemblée du champ de mai et donne l’acte additionnel. Mais de nouveaux dangers menacent la France ; Napoléon veut prévenir les alliés et marche en Belgique. Il les bat à Ligny ; mais il succombe à Waterloo après une lutte inégale et gigantesque (18 juin 1815).

Les guerres de la République et de l’Empire avaient considérablement reculé, vers l’est, les limites de la France, qui s’étendait de l’embouchure de l’Elbe au Rhin, aux Alpes et aux Apennins. Elle sortit bien amoindrie du second traité de Paris (10 novembre 1815) ; elle rentra dans ses anciennes frontières, mais en perdant, en outre Philippeville et Marienbourg, entre la Sambre et la Meuse, Bouillon sur la Chiers, Sarrelouis et toute la partie avoisinante du cours de la Sarre, Landau et le cours inférieur de la Queich, c’est-à-dire les postes avancés de sa frontière septentrionale, la rive du lac de Genève, et la partie de la Savoie que lui avait laissée le traité de 1814. La principauté de Monaco cessa d’être sous la suzeraineté de la France, et le pays de Gex dut rester en dehors de la ligne des douanes françaises.