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LXIII
INTRODUCTION

dignitaires, de grands officiers du palais, de maréchaux ; on vit même surgir une nouvelle noblesse. Les anciennes choses renaissaient profondément modifiées, il est vrai, par les idées nouvelles et les nouveaux besoins issus de la révolution. Le concordat (1802) rétablissait en France le culte catholique ; mais la vente des biens du clergé était reconnue et les prêtres salariés par l’État. En même temps, le Code civil, d’après les principes proclamés par la Constituante et sur les bases jetées par la Convention, s’élaborait et s’achevait dans ces belles discussions du conseil d’État souvent présidées par Napoléon lui-même avec le merveilleux bon sens d’un grand législateur. L’institution de l’ordre impérial de la Légion d’honneur au camp de Boulogne allait permettre au nouvel empereur de récompenser les services rendus au pays, et exciter l’émulation de tous pour la gloire de la France. De grands travaux publics s’opéraient partout. Des routes étaient tracées, des canaux creusés, des ponts construits, des monuments élevés, l’industrie encouragée d’autant plus vivement que c’était la meilleure guerre que l’on pût faire à l’Angleterre, alors notre ennemie.

Cette ennemie, Napoléon la menaçait depuis plusieurs années d’un coup terrible par les préparatifs immenses de Boulogne. Pitt, rentré au ministère, sut amener une diversion de l’Autriche et de la Russie. Napoléon désespérait déjà du succès de la descente, compromise par les timides manœuvres de l’amiral Villeneuve, lesquelles allaient aboutir au désastre de Trafalgar. Napoléon se retourne alors contre l’Autriche. En un mois la grande armée est sur le Danube, au delà d’Ulm, où s’est arrêté le général avec quatre-vingt mille hommes. Ce général capitule et son armée est dissoute presque sans combat. Les Russes s’avançaient cependant avec leur jeune et présomptueux empereur. Ils sont coupés et détruits à Austerlitz (1805), la plus belle des victoires de Napoléon. Le traité de Presbourg (1806) consacra l’affaiblissement de l’Autriche, substitua le titre d’empereur d’Autriche à celui d’empereur d’Allemagne, et déroba ce pays à l’influence autrichienne par l’établissement de la Confédération germanique. C’est alors que Napoléon, pour mieux faire rayonner au dehors sa puissance, commença à créer des rois de son sang, et mit Joseph à Naples et Louis en Hollande, distribuant en outre à tous ses serviteurs duchés et principautés.

Le roi de Prusse louvoyait depuis longtemps entre les rois ses égaux et le terrible vainqueur des rois. Plein de mépris pour cette cour fausse et perfide, Napoléon la menaça du sort de l’Autriche ; mais la nation prussienne, se croyant encore au temps de Rosbach, poussa à la guerre son faible roi. Napoléon en eut facilement raison. Le 14 octobre 1806, il fait essuyer à l’armée du prince de Hohenlohe la grande défaite d’Iéna, et le même jour, à peu de distance, Davout, un de nos plus grands hommes de guerre, battait à Auerstædt, avec vingt-six mille hommes, soixante mille Prussiens commandés par le duc de Brunswick. Un officier prussien écrivait après ce combat : « S’il ne fallait que se servir de nos bras contre les Français, nous serions bientôt vainqueurs. Ils sont petits, chétifs ; un seul de nos Allemands en battrait quatre ; mais ils deviennent au feu des êtres surnaturels. Ils sont emportés par une ardeur inexprimable, dont on ne voit aucune trace chez nos soldats... Que voulez-vous faire avec des paysans menés au feu par des nobles dont ils partagent les dangers, sans partager jamais ni leurs passions ni leurs récompenses ? » Comme l’année précédente, les Russes se trouvaient en arrière-garde derrière les vaincus : ils s’avançaient : « Nous leur épargnerons la moitié du chemin, dit Napoléon à son armée. Eux et nous, ne sommes-nous pas les soldats d’Austerlitz ? » Après leurs sanglantes défaites à Eylau et à Friedland, les Russes se retirèrent derrière le Niémen. Napoléon et l’empereur Alexandre eurent une entrevue sur ce fleuve : Alexandre, « faux comme un Grec du Bas-Empire, » suivant l’expression de Napoléon, feignit pour le héros une grande admiration et une cordiale amitié. Napoléon y crut trop légèrement et fit de l’alliance avec la Russie la base de sa politique nouvelle. Il alla jusqu’à lui abandonner, dans l’excès de sa confiance, la Finlande et les provinces turques. Faute immense aujourd’hui irréparable. Alors fut signé le traité de Tilsitt (1807) : la Prusse, dépouillée, vit se former de ses débris le grand-duché de Varsovie et le royaume de Westphalie donné à Jérôme Bonaparte.

C’est l’Angleterre que Napoléon allait chercher jusqu’au Niémen. De Berlin, il lança le décret de blocus continental ; décret grandiose et de la plus vaste portée, mais fort dangereux dans l’application, car il fallait que l’Europe fût matée. Le Portugal était allié à l’Angleterre ; Napoléon y jette une