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LIX
INTRODUCTION

Villeroi, y fut complètement défait par Frédéric. Comme il avait la vue basse, le public parisien chanta malignement :

Soubise dit, la lanterne à la main :
« J’ai beau chercher où diable est mon armée,
Elle était là pourtant hier matin !
Me l’a-t-on prise ou l’aurai-je égarée ? » etc.

Mme de Pompadour, amie du général, chercha à l’excuser aux yeux du roi, ce qui donna lieu à la diatribe suivante :

En vain vous vous flattez, obligeante marquise,
De mettre en beaux draps blancs le général Soubise ;
Vous ne pouvez laver, à force de crédit,
La tache qu’à son front imprime sa disgrâce,
Et, quoi que votre faveur fasse,
En tout temps on dira ce qu’à présent l’on dit
« Que si Pompadour le blanchit,
Le roi de Prusse le repasse. »

Ce fut aux colonies que la France essuya les plus grands revers. Le gouvernement ne sut point les soutenir. Nous perdîmes le Canada, malgré la valeur de Montcalm, et l’Inde, malgré l’opiniâtreté de Lally. Le duc de Choiseul devenu ministre eut une grande idée : ce fut d’unir la marine espagnole à la nôtre pour tenir tête à l’Angleterre ; tel fut l’objet du pacte de famille, qui n’eut, cependant, pour premier résultat que d’associer l’Espagne à nos pertes coloniales. Par le traité de Paris (1763), l’Angleterre acquit sur l’une et l’autre puissance le Canada, l’Acadie, le Cap-Breton, la Grenade et les Grenadines, Saint-Vincent, Saint-Dominique, Tabago et le Sénégal. Traité honteux pour la France, et qui marque l’époque de son plus grand abaissement politique.

Choiseul, qui fut le seul grand ministre de Louis XV, eut le courage de chasser les jésuites et la gloire de réunir à la France la Lorraine et la Corse ; mais il n’eut pas le temps de sauver la Pologne : la cabale Maupeou, Terray et d’Aiguillon le fit disgracier par l’influence de Mme Du Barry. Cette courtisane, qui dominait honteusement Louis XV, ne lui laissa point de repos qu’il n’eût congédié Choiseul ; une orange dans chaque main, elle les jetait en l’air l’une après l’autre en disant : « Saute, Choiseul ; saute, Praslin. » Quand Louis XV eut entendu quelque temps cette chanson, il envoya son ministre en exil. Les divertissements de ce roi, sans parler de ceux que nous devons taire par respect pour nos lecteurs, étaient de faire de la tapisserie, de tourner des tabatières et de classer les anecdotes scandaleuses que son ministre de police lui envoyait religieusement chaque matin. Du reste il se souciait peu de l’avenir. En brisant les parlements pour y substituer le malencontreux parlement Maupeou, il renversa les derniers soutiens qui restaient à la monarchie. Mais, jugeant que, quoiqu’elle fût bien malade, il arriverait encore avant elle au tombeau : « Bah ! disait-il, ceci durera toujours autant que moi ; après moi le déluge. »



LOUIS XVI.

Louis XVI eut quelque chose de plus et quelque chose de moins que Louis XV : le cœur de plus et l’esprit de moins. Honnête et voulant le bien, il appela aux affaires un honnête homme, Malesherbes, et un homme de génie, Turgot ; il voulut prévenir la Révolution par des réformes. D’abord il remit au peuple le droit de joyeux avènement ; il réforma la loi qui rendait les taillables solidaires du payement de l’impôt, et affranchit les derniers serfs des terres domaniales. La liberté du commerce des grains dans l’intérieur fut décrétée, les corvées pour les grandes routes sont supprimées et remplacées par une contribution territoriale que tous payeront ; les maîtrises et les jurandes sont abolies. C’était la liberté entrant dans l’industrie, et l’égalité dans l’impôt. La faiblesse du roi perdit tout : il recula devant l’opposition des parlements qu’il avait rappelés après son avènement et devant les clameurs des privilégiés. Malesherbes donna sa démission ; Turgot se fit demander la sienne ; mais, en la donnant, il prononça ces paroles prophétiques : « La destinée des princes conduits par les courtisans est celle de Charles Ier (1776). » Turgot avait les plus larges idées : si elles eussent pu être exécutées, la Révolution se fût faite pacifiquement ; mais Louis XVI n’était pas né pour les comprendre. Un jour, Turgot entrant dans son cabinet le trouve occupé à son bureau ; le roi se retourne, et lui tendant un papier : « Voyez, dit-il, moi aussi, je travaille. » Turgot prend le papier et lit : Mémoire pour la destruction des lapins dans les campagnes... Il s’agissait bien de lapins quand la monarchie penchait de plus en plus vers l’abîme qui allait l’engloutir. Le vieux ministre Maurepas, méchante langue, fit tomber Turgot. Necker, autre honnête homme et financier habile, ayant été appelé au contrôle général des finances, Maurepas