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LV
INTRODUCTION

à M. de Nogaret : « Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état. — Monsieur, je ne le savais pas. — Il faut le savoir, dit M. de Louvois ; vous l’avez vue ? — Non, monsieur, dit Nogaret. — Il faudrait l’avoir vue, monsieur. — Monsieur, j’y donnerai ordre. — Il faudrait l’avoir donné ; car, enfin, il faut prendre parti, monsieur, ou se déclarer courtisan ou faire son devoir quand on est officier. »

Voilà par quelles ressources Louis XIV devint le premier roi de l’Europe ; voilà d’où sortirent tant de victoires. Dès les premières années, il fit paraître partout sa puissance et prit une attitude souveraine : à Rome, dans l’affaire du pape ; dans la Méditerranée, à l’égard des pirates algériens ; sur les bords du Danube, contre les Turcs ; et sur ceux du Tage, contre les Espagnols. L’empereur, le roi d’Angleterre, la plus grande partie des princes allemands étaient attirés dans son alliance par des diplomates habiles.

C’est alors qu’en raison du droit de dévolution, et au nom de Marie-Thérèse, sa femme, il réclama à l’Espagne la Flandre et la Franche-Comté ; l’Espagne refusa : les deux provinces sont conquises en un clin d’œil (1668). Par le traité d’Aix-la-Chapelle, Louis XIV garde la première et rend la seconde.

La Hollande effrayée avait formé la triple alliance qui avait arrêté le grand roi. D’ailleurs, son commerce faisait au commerce français une concurrence redoutable. Son arrêt fut prononcé ; Louis XIV passa le Rhin ; mais la maladresse de Louvois donna le temps aux Hollandais d’ouvrir leurs digues et de sauver Amsterdam par l’inondation. Cette fois l’Europe s’alarma à son tour, et la France dut faire face à une coalition générale. Ce fut avec un succès constant. La Franche-Comté fut reconquise en quelques jours ; Turenne sauva l’Alsace par son admirable campagne d’hiver de 1675 ; Condé fut vainqueur à Senef ; Duquesne battit et tua Ruyter sur la Méditerranée. Enfin la paix d’Aix-la-Chapelle (1678) donna à la France la Franche-Comté et douze places de la Flandre, où Vauban fut aussitôt envoyé pour les fortifier.

« Le roi fut en ce temps au comble de la grandeur ; victorieux depuis qu’il régnait, n’ayant assiégé aucune place qu’il n’eût prise, supérieur en tout genre à ses ennemis réunis, la teneur de l’Europe pendant six années de suite, enfin son arbitre et son pacificateur, ajoutant à ses États la Franche-Comté, Dunkerque et la moitié de la Flandre ; et, ce qu’il devait compter pour le plus grand de ses avantages, roi d’une nation alors heureuse et alors le modèle des autres nations. L’Hôtel de ville de Paris lui déféra, quelque temps après, le nom de Grand avec solennité (1680), et ordonna que dorénavant ce titre seul serait employé dans tous les monuments publics : l’Europe, quoique jalouse, ne réclama pas contre ces honneurs. » (Voltaire.)

Ici commence le déclin. La grande époque politique, militaire et littéraire touche à sa fin. Turenne a péri ; Condé achève sa vie dans la retraite ; Molière, La Fontaine, Boileau, Racine, Bossuet ont donné leurs chefs-d’œuvre ; enfin Colbert meurt en 1683 et laisse Louis XIV livré aux conseils funestes de Louvois et de Mme de Maintenon. Enorgueilli de ses succès, Louis XIV devient dur, tyrannique. Il fait en pleine paix des conquêtes qui blessent toute l’Europe ; il traite le pape et les Génois avec l’insolence du plus fort ; il écrase le peuple d’impôts pour ses fastueuses constructions, et met le comble à son despotisme par les dragonnades et la révocation de l’édit de Nantes. En sortant de la tolérance religieuse, il sort des grandes traditions de Henri IV, de Richelieu, de Colbert ; il se montre esprit étroit et fanatique.

L’Europe se coalisa de nouveau à l’instigation de Guillaume III, devenu roi d’Angleterre, et forma la ligue d’Augsbourg. Louis XIV résolut de frapper au cœur cette coalition en rétablissant les Stuarts. Une flotte française jette en Irlande une armée et Jacques II à la tête. Le roi détrôné se laissa battre à la Boyne, Guillaume III fut affermi et la guerre devint générale. La France garda encore l’avantage sur presque tous les points. Elle n’était point si appauvrie de généraux qu’elle ne pût opposer aux ennemis un Luxembourg et un Catinat. Le premier fut vainqueur à Fleurus, à Steinkerque, à Nerwinde, et envoya tant de drapeaux orner nos cathédrales, qu’on le surnomma le tapissier de Notre-Dame. Le second battit le duc de Savoie à Staffarde et La Marsaille. Sur mer, Tourville avait longtemps gardé la supériorité sur les marines anglaise et hollandaise réunies, et, malgré la glorieuse défaite de La Hogue, plus funeste par son retentissement que par ses effets réels, il tenait encore la mer avec avantage. Louis XIV ne se fit pas au traité de Ryswick (1697) la part que l’état de ses affaires lui eût permis de réclamer. D’où