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XLVIII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

trompé. — Bon ! reprit-il en riant, il aurait dû dire la douzième. » Son plus habile lieutenant, Gonzalve de Cordoue, voulait « que la toile de l’honneur fût d’un tissu lâche. » Le pauvre Louis XII se laissa tellement envelopper par les ruses du renard espagnol qu’il conclut ce désastreux traité de Blois, lequel, sacrifiant non seulement l’Italie, mais la Bretagne et la Bourgogne, exposait la France à voir un jour sur son trône Charles d’Autriche, Charles-Quint. Heureusement les états généraux mirent leur véto et marièrent bien vite l’héritière de France, Claude, avec François d’Angoulême (François Ier). Louis XII fit une autre faute en suscitant contre Venise la ligue de Cambrai. Sa victoire d’Agnadel (1509) ne servit qu’à tourner contre lui ses propres alliés : Jules II les réunit sous le nom de Sainte-Ligue, et la France fut seule contre tous. Gaston de Foix, jeune et brillant capitaine, nous donna quelque temps la victoire ; mais il est tué à Ravenne, l’Italie est perdue ; toutes nos frontières entamées, et Louis XII n’éloigne les étrangers qu’en abandonnant l’Italie et en donnant beaucoup d’argent. Il épousa par le même traité Marie, sœur du roi d’Angleterre ; faible et maladif depuis son avènement, cette union avec une jeune femme l’acheva. Malgré ses revers, la France fut sous ce règne en voie de prospérité. « La tierce partie du royaume fut défrichée en douze ans, et pour un gros marchand qu’on trouvoit à Paris, à Lyon ou à Rouen, on en trouva cinquante sous Louis XII, et qui faisoient moins de difficulté d’aller à Rome, à Naples ou à Londres, qu’autrefois à Lyon ou à Genève. »



RIVALITÉ DE LA FRANCE ET DE L’AUTRICHE. FRANÇOIS Ier.

Entre Louis XII et son successeur le contraste était frappant : autant le premier était prudent, pacifique et maladif, autant le second était fougueux, batailleur et bien portant. Ce pauvre Louis XII, qui n’avait cessé d’être sage qu’à la fin de sa vie, crut tout perdu. « Ce gros garçon va tout gâter, » se disait-il. Il jugeait mal des ressources de la France. Ce pays était désormais trop fort, trop bien uni, pour que la folie d’un roi pût compromettre ses destinées. Au reste, le roi des gentilshommes débuta bien. Il tomba du haut des Alpes sur le Milanais, et les Suisses étant survenus, il battit cette paysandaille à Marignan (1515). « Combat de géants ! » disait Trivulce : les Suisses marchaient droit devant eux comme des sangliers ; trois fois ils enlevèrent les premières batteries ; trente fois ils soutinrent les charges de la gendarmerie française, le roi en tête ; ils ne firent retraite que le lendemain, à l’approche des Vénitiens.

François Ier recueillit habilement les fruits de sa victoire. La paix perpétuelle avec les Suisses lui assura de bons soldats. Le concordat mit l’Église gallicane dans sa main. Son pouvoir était absolu : si le parlement faisait résistance, il le menaçait de le jeter dans un cul de basse-fosse. Les impôts, il ne les diminuait pas comme Louis XII, il les augmentait et vendait les charges de justice. Il ne vivait point de tisanes et de juleps, mais de bons et succulents repas. Le surcot rapiécé de Louis XI n’eût point été de son goût. Riches habits, cour brillante, grand appareil de chasse, et des femmes, surtout des femmes, luxe plus coûteux que tous les autres, voilà ce qu’il fallait à ce roi bon vivant. La politesse et la galanterie y gagnèrent, mais point le gouvernement du pays. « Elles furent cause (les femmes) qu’il s’introduisit de très méchantes maximes dans le gouvernement, et que l’ancienne candeur gauloise fut rejetée encore plus loin que la chasteté. » (Mézeray.)

Le trône impérial fut vacant en 1519, Charles-Quint et François Ier se mirent sur les rangs. L’argent de France passa dans la cassette des électeurs ; nos ambassadeurs grisèrent les seigneurs allemands, et Charles-Quint fut élu. François Ier lui avait bien dit à l’avance qu’ils étaient deux rivaux pour une même maîtresse, et que le moins heureux se résignerait en galant homme. Joli mot comme en savent dire les princes. Il n’en fut pas moins piqué d’avoir échoué, et bientôt la guerre éclata.

Cette guerre eût été mesquine si la situation de l’Europe ne lui eût prêté une grande portée. La puissance exagérée de la maison d’Autriche menaçait tous les États européens : ce fut la France qui eut l’honneur de lui tenir tête, de la contenir, et plus tard de l’abattre. Cette fois, au reste, tout alla mal d’abord. Nos Suisses furent battus dans le Milanais, parce qu’ils n’avaient pas d’argent ; et ils n’avaient pas d’argent, parce que Louise de Savoie avait volé au surintendant Semblançai celui qui leur était destiné. Semblançai fut pendu : c’était trop juste. Le connétable de Bourbon, traître à son pays, envahit la Provence avec une armée impériale. Il disait bien haut que Marseille allait lui en-