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XLII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

les seigneurs des Pays-Bas une coalition pour arrêter le développement rapide de la puissance française, Philippe-Auguste gagna sur eux la victoire de Bouvines, la première victoire nationale à laquelle contribuèrent les milices des communes accourues de toutes parts autour de l’oriflamme de Saint-Denis. La France, pour la première fois, se sentit sauvée de l’étranger et fit éclater une joie universelle ; la France du nord, bien entendu, car celle du midi n’avait guère de rapports avec elle. « Qui pourrait dire, s’écrie le poète chroniqueur, la très grande joie et très grande fête que tout le peuple fit au roi, alors qu’il s’en retourna en France après la victoire ! Ses clercs chantoient par les églises de doux chants en louanges de Notre-Seigneur ; les cloches sonnoient à carillon par les abbayes et par les églises : les montres estoient solennellement ornées dedans et dehors de drap de soie ; les rues et les maisons des bonnes villes estoient vêtues et parées de courtines et de riches garniments ; les voies et les chemins estoient jonchés de rameaux d’arbres verts et de fleurs nouvelles. Tout le peuple, petits et grands, hommes et femmes, vieux et jeunes accouroient en foule aux carrefours des chemins. Les bourgeois et la multitude des écoliers allèrent à la rencontre du roi. Ils firent une fête sans égale, et si le jour ne leur suffisoit pas, ils festoyoient la nuit avec grands luminaires, si bien que la nuit estoit aussi éclairée que le jour. Les écoliers surtout dépensèrent moult en festins et bombances ; et dura la fête sept jours et sept nuits (1214). »

Tout occupé de combattre les « deux grands lions qu’il avait aux flancs, » c’est-à-dire le roi d’Angleterre et l’empereur, Philippe-Auguste ne prit aucune part à cette quatrième croisade qui, détournée de son but, n’aboutit qu’à une grande piraterie, la prise de Constantinople ; un empire latin remplaça pendant un demi-siècle l’empire grec, et des seigneurs français partagèrent en fiefs le pays de Thémistocle et d’Alexandre. Philippe demeura également étranger à la croisade des Albigeois ; il laissa les seigneurs épuiser leurs forces dans cette triste expédition et prendre sur eux tout l’odieux des bûchers et du sang répandu à grands flots, bien assuré que la royauté seule en recueillerait les fruits. Ce fut, en effet, à la suite de cette guerre et sous Louis VIII que presque tout le Midi fut réuni à la couronne. Les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne y furent fondées pour y être les organes de l’administration royale.

Saint Louis servit à son tour puissamment la royauté par des moyens différents : il joignit à l’habileté, au courage, la vertu d’un saint, et par là rendit le trône vénérable à tous. Il battit à Taillebourg (1422) les Anglais et une ligue de barons révoltés ; puis, quoique vainqueur, il abandonna, par scrupule de conscience, le duché de Guyenne à la simple condition de l’hommage. Il alla deux fois en croisade (1247 et 1270) et montra, prisonnier en Égypte, ou mourant de la peste sous les murs de Tunis, le courage et la résignation d’un martyr. Assis sous le chêne de Vincennes, il personnifia aux yeux du peuple la justice royale. Il punit sévèrement les crimes de ses barons : par exemple, ce sire de Coucy qui, pour un simple délit de chasse, avait fait pendre trois jeunes gens. Il le condamna à une lourde amende. Les autres barons murmurèrent : ils prisaient bien plus leur droit de chasse que la vie de trois hommes. L’un d’eux dit ironiquement : « Si j’avais été le roi, j’aurais fait pendre tous mes barons ; le premier pas fait, il n’en coûte pas davantage. » Le roi l’entendit et lui répondit cette juste et sévère parole : « Je ne pendrai point mes barons, mais je les châtierai s’ils méfont. » Ses Établissements introduisirent dans ses domaines des principes d’une plus saine justice ; il y abolit le duel judiciaire, il y rendit les guerres privées presque impossibles par l’établissement de la quarantaine-le-roi. Par l’établissement des appels et des cas royaux, il évoqua un grand nombre de causes à son parlement. Ce roi si bon justicier, ce roi qui savait par sa pragmatique arrêter les empiétements des papes, n’était pas étranger aux passions de son temps. « Aucun, disait-il, s’il n’est grand clerc et parfait théologien, ne doit disputer avec les juifs, mais doit l’homme laïque, quand il ouït médire de la foi chrétienne, défendre la chose non pas seulement de paroles, mais à bonne épée tranchante et en frapper les mécréants au travers du corps tant qu’elle y pourra entrer. » Déplorable théorie qui venait d’être pratiquée dans la croisade contre les Albigeois.

Le xiiie siècle est le plus remarquable du moyen âge. C’est le grand siècle de l’architecture gothique ; c’est celui où nos grandes villes deviennent commerçantes et industrieuses ; où les universités récemment fondées comptent de nombreux disciples. La France, où l’ordre et la richesse se développent