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XXXVII
INTRODUCTION

Clovis, Childéric, eut une nuit un songe : il vit passer des lions, des licornes et des léopards, puis des ours et des loups, puis des chiens et d’autres bêtes méprisables qui se roulaient et se déchiraient les unes les autres. Sa femme Basine lui expliqua ce songe : « Il nous naîtra un fils qui sera un lion par son courage. Les fils de notre fils ressembleront aux léopards et aux licornes ; mais ils engendreront à leur tour des enfants semblables aux ours et aux loups par leur voracité. Ceux que tu as vus pour la dernière fois viendront pour la fin et la ruine du royaume. »

On ne saurait, en effet, mieux comparer qu’à des batailles de loups et de bêtes sauvages les querelles effroyables de Frédégonde et de Brunehaut. Chilpéric, dominé par Frédégonde, fait assassiner Galswinthe, son épouse, fille du roi des Wisigoths. Brunehaut veut venger sa sœur et envoie son époux Sigebert envahir la Neustrie. Sigebert est vainqueur et va s’emparer de son frère et de son ennemi : Frédégonde le fait assassiner. Sous le poignard formidable de cette femme monstrueuse tombent ensuite tous les enfants légitimes de Chilpéric, et Chilpéric lui-même ; elle veut que son fils, à elle, soit seul roi ; elle y parvient, et Clotaire II réunit de nouveau toute la monarchie après s’être fait livrer Brunehaut par les leudes austrasiens, qui redoutaient les projets despotiques de cette femme ambitieuse et hardie.

Dagobert, fils de Clotaire II, fut le plus grand roi des Mérovingiens après Clovis et fut sans comparaison le plus magnifique. Les Bretons d’un côté de l’empire, les Frisons de l’autre, payent tribut. Les Lombards en Italie, les Wisigoths en Espagne se soumettent à l’intervention du roi des Francs. Les leudes et les évêques, ambitieusement ligués contre les progrès du pouvoir royal, se taisent et tremblent. Mais Dagobert meurt (638), la couronne tombe sur des têtes d’enfants et les maires du palais exercent le pouvoir aux yeux des Francs, qui s’habituent ainsi peu à peu à voir la royauté véritable changer de mains.

Les leudes profitent de la circonstance et veulent se rendre indépendants, réduire la royauté à ce qu’elle était dans les forêts germaines. L’Austrasie, qui a conservé les mœurs germaniques bien mieux que la Neustrie, est le foyer de cette révolte aristocratique. Ébroïn, qui gouverne comme maire du palais la Neustrie et qui s’érige en défenseur du pouvoir royal, triomphe quelque temps des leudes austrasiens. Mais il est assassiné et les Austrasiens sont vainqueurs à Testry (687).

Ils envahissent la Neustrie. À leur tête est l’un d’entre eux, Pépin, de la puissante famille d’Héristal. Pépin s’empare de la mairie du palais, c’est-à-dire, en réalité, du pouvoir royal. Charles-Martel, son fils, se saisit après lui de cette dignité et couvre de gloire son nom et sa famille en détruisant, entre Tours et Poitiers, l’immense armée des Sarrasins (732). Cette grande victoire sauvait la chrétienté tout entière. Pendant les derniers troubles, le midi de la Gaule, Aquitaine, Provence, Bourgogne, s’était presque affranchi de la domination des Francs. Charles reconquit la Provence et la Bourgogne et ravagea l’Aquitaine. Son fils, Pépin le Bref, continua la même tâche. Il fit une guerre terrible aux Aquitains, qui se défendaient vaillamment sous leurs chefs Waïfre et Hunald, et, à l’autre extrémité de l’empire, fit rentrer dans l’obéissance les Alamans et les Bavarois.

Tandis que la maison d’Héristal rendait de si éclatants services à tous les peuples chrétiens en général et à la nation des Francs en particulier, « la famille des Mérovingiens, dit Éginhard, ne faisait depuis longtemps preuve d’aucune vertu et ne montrait rien d’illustre que son titre de roi. Le prince se contentait d’avoir les cheveux flottants et la barbe longue, de s’asseoir sur le trône et de représenter le monarque. Il donnait audience aux ambassadeurs et leur faisait des réponses qui lui étaient enseignées ou plutôt commandées. À l’exception d’une pension alimentaire, mal assurée et que lui réglait le préfet du palais, selon son bon plaisir, il ne possédait en propre qu’une seule maison de campagne d’un fort modique revenu, et c’est là qu’il tenait sa cour, composée d’un petit nombre de domestiques. S’il fallait qu’il allât quelque part, il voyageait sur un chariot traîné par des bœufs, qu’un bouvier conduisait à la manière des paysans. C’est ainsi qu’il avait coutume de se rendre à l’assemblée générale de la nation, qui se réunissait une fois chaque année pour les affaires du royaume. »

Tout désignait donc depuis longtemps les chefs de la famille d’Héristal comme les véritables rois. Mais l’usurpation fut une affaire concertée entre eux et le pape, qui avait grand besoin de l’épée des Francs contre les Lombards, comme Pépin avait grand besoin d’une sanction religieuse pour pallier, aux yeux des Francs, le crime de supplan-