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CXVI
LA FRANCE ILLUSTRÉE

ne faut ni attendre ni même désirer la défaite d’un ennemi. Rouen et Saint-Quentin sont les sièges principaux de l’industrie cotonnière ; la première fabrique fut fondée à Mulhouse en Alsace, en 1746. Nos mères appelaient encore les tissus de coton : indiennes, madras, du lieu présumé de leur origine. En 1880, la France exportait pour près de 60 millions de francs de tissus de coton.

C’est un peu au détriment du chanvre et du lin que le coton s’est si souverainement imposé à nos populations. Cependant il faut encore compter avec l’industrie linière ; à Lisieux seulement, elle occupe 5,000 ouvriers. Elle se maintient encore en Bretagne, dans le Maine, et si l’on rattache à elle la fabrication des dentelles, on pourra compter 60,000 métiers dans l’espace qui sépare Caen de Cherbourg.

À côté de cette intéressante industrie des campagnes, il faut placer la fabrication des gants, qui, malgré sa simplification mécanique, occupe bien des bras autour de Grenoble, de Bourg et d’Alençon. L’espèce de monopole que nous exercions et la réputation universelle des gants de France ont stimulé la rivalité d’autres nations, et depuis quelques années nous trouvons sur les marchés étrangers de prétendus gants de Paris qui ne viennent pas même de France. Avant d’en arriver à cette industrie parisienne qui résume toutes les autres, notons parmi nos richesses départementales la papeterie, qui avec ses 200 machines transforme chaque jour 250,000 kilogrammes de chiffons, et exporte annuellement pour 40 millions de ses produits ; nos verreries et cristalleries, nos porcelaines, qui figurent ensemble pour 25 millions environ dans le chiffre de notre commerce extérieur.

Il est encore une industrie dont l’appréciation a soulevé bien des débats, mais dont nous avons seulement à constater l’importance, c’est celle de la betterave ; elle a été fondée pour créer un produit dont la guerre nous privait. La paix faite et le sucre reparaissant dans nos ports, on pouvait s’attendre à voir tomber ce qui n’avait plus raison d’être ; mais ces puissantes usines s’étaient si solidement implantées dans le pays, qu’on recula devant leur destruction. On devine facilement les griefs que les colonies peuvent faire valoir contre elles. De leur côté, s’appuyant sur les intérêts agricoles et sur une sorte de solidarité industrielle, elles ont bravé tous les orages soulevés contre elles. Elles ont eu de nombreuses alternatives de prospérité et de décadence ; elles commencent à se déplacer et quittent peu à peu le département du Nord, où elles étaient le plus nombreuses ; mais il y a tant de ressources dans cette industrie, tant d’habileté à exploiter les circonstances, que chaque crise la retrouve plus vivace, plus envahissante. C’est ainsi que, dans ces dernières années, la pénurie de nos vignobles a utilisé et enrichi ses distilleries.

Il nous reste à parler de l’industrie parisienne. Quelle est-elle ? où la prendre ? On a trop dit quand on a prétendu que Paris, c’était la France ; mais on ne risque pas de trop s’avancer en disant que l’industrie parisienne, c’est l’industrie française. On y façonne le fer comme au Creusot ou à Indret ; on y tisse la soie comme à Lyon ; on y imprime les tissus comme à Mulhouse ; on y raffine le sucre comme au Havre ou à Lille. Londres est la première place de commerce du monde, Paris est le premier atelier de l’univers ; c’est la ville qui produit le plus et ce serait rabaisser injustement sa valeur industrielle que de la placer exclusivement dans la supériorité de quelques-uns de ses produits. Bronzes, orfèvrerie, modes, bijouterie, bimbeloterie, dont Paris est le grand marché, ne suffisent point à caractériser son génie industriel ; ce qu’il faut y chercher, ce qu’il faut y voir, ce sont les aspirations d’un grand peuple, d’un peuple initiateur vers des destinées nouvelles. Abordez Paris par une des hautes collines qui l’entourent, étendez vos regards sur l’horizon qui se déroule devant vous.

Au centre d’un immense amas de constructions, sous une atmosphère brumeuse entre les deux bras du fleuve, premiers remparts de la cité naissante, apparaissent deux hautes tours, des dômes, des clochers : c’est le vieux Paris avec sa cathédrale et son palais de justice. Tracez un rayon plus vaste autour de ce centre, suivez la ligne des boulevards, enceinte plus récente de la ville, chaque monument que vous distinguez dans ce nouveau cercle marque un pas de la civilisation qui sort de son berceau. Ce sont les palais des rois, les ministères, les hôtels des diverses administrations, le timbre, la douane, la Bourse, la Poste. La ville s’est constituée ; après la religion et la justice, elle a cherché une organisation administrative ; puis le commerce a demandé place au soleil et pris ses positions. Où marche aujourd’hui cet esprit des temps, sorti du vieux cloitre, qui, après avoir hanté les tourelles du Châtelet, s’installa quelque temps dans les splendeurs