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CXV
INTRODUCTION

ouverte. Nous avons cité l’exploitation des mines comme une des plus anciennes industries de notre sol ; nos mineurs, aujourd’hui, vont chercher, il est vrai, dans des contrées lointaines, les métaux précieux dont l’extraction est devenue ici peu profitable ; mais le fer et la houille, devenus les bases de toute grande industrie, occupent aujourd’hui des populations entières, enrichissent les régions qui les possèdent, et sont devenus l’objet d’une science positive qui remplace l’adresse individuelle ou les procédés traditionnels de nos pères. Comme richesse minière du sol, la France est moins favorisée que d’autres pays, l’Angleterre, la Belgique, par exemple ; le minerai y est moins abondant, et les couches houillères moins à fleur de terre ; mais chaque jour la puissance des machines, l’habileté des ingénieurs et l’intelligence des mineurs font des progrès qui atténuent les conséquences de ce désavantage. Mentionnons, sans nous y arrêter, l’activité qui se déploie dans nos carrières de pierre, de marbre, de chaux, d’argile, d’ardoise, qui suffisent si amplement à tous les besoins de la consommation. Passons maintenant aux industries qui dérivent le plus directement de celles dont nous venons de parler. En 1819, la France possédait 230 hauts fourneaux et 86 forges à la Catalane ; les relevés officiels accusaient une production de 112,500 tonnes de fonte, 74,200 de fer de forge, 15,000 quintaux métriques d’acier brut et 1,580 d’acier fondu. En 1880, les quantités produites sont arrivées à 16 millions de tonnes. On peut sans exagération affirmer que depuis cette époque la progression a été croissante ; et encore est-ce le côté faible de notre industrie générale. Après les métaux comme logique, mais avant eux comme importance, viennent les tissus. Sans tenir compte des variétés qui proviennent des mélanges, ils peuvent se diviser en trois grandes catégories répondant aux matières dont ils sont essentiellement formés : soie, laine, coton. Pour la soie façonnée, étoffes, châles, rubans, la France n’a pas de rivaux. Il s’est bien fondé sur nos frontières, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre même, des fabriques qui, en nous empruntant nos ouvriers, en copiant nos dessins, sont parvenues à nous disputer, grâce à des tarifs de douane protecteurs ou à une main-d’œuvre économique, une partie de notre clientèle ; mais cette perte a été plus que compensée par la consommation toujours croissante des objets de luxe, et, en réalité, les seuls articles dont la vente nous soit disputée sont les taffetas unis, les rubans communs et les foulards imprimés. Nous avons décrit ailleurs l’état actuel de l’industrie à Lyon ; Saint-Étienne représente mieux le progrès et la prospérité de notre époque. Si l’industrie de la laine révèle d’une façon moins brillante notre supériorité, c’est uniquement parce qu’il lui manque la consécration du temps et la centralisation dans une cité comme Lyon. Elle est répandue sur tous les points de la France, portant partout avec elle prospérité, richesse. La draperie seule a, au nord, Elbeuf, Sedan, Louviers, Beauvais, Reims, Les Andelys, Amiens, Abbeville ; à l’est, Nancy, Épinal ; à l’ouest, Vire ; au midi et au centre, Vienne, Lodève, Chalabre, Castres, Limoux, Bédarrieux, Mazamet, Montauban, Châteauroux, Romorantin. En prenant pour exemple Elbeuf, un des principaux centres de la draperie, nous trouvons que, de 1812 à 1840, le nombre des métiers était passé de 775 à 5,000 ; aujourd’hui, ils approchent de 8,000. Nous ne croyons pas cette proportion exceptionnelle. La laine, dans d’autres fabrications, celles des tissus purs ou mélangés de coton, mérinos, mousselines, etc., a donné des résultats plus prodigieux encore ; elle s’est emparée de l’ancienne Picardie et a complètement transformé les villes d’Amiens, de Saint-Quentin, Roubaix et Tourcoing. Dans ce seul rayon, plus de cent mille ouvriers travaillent la laine, et, en 1880, le chiffre des tissus de laine exportés s’élevait à 400 millions de francs. Seule, la fabrication des tapis reste stationnaire ; Aubusson, Beauvais, les Gobelins se préoccupent de faire des œuvres d’art ; nulle part on ne parait songer sérieusement à faire entrer dans nos usages et dans la consommation générale cet article si généralement adopté par des civilisations moins avancées que la nôtre. La main de l’homme a encore le rôle essentiel dans la fabrication de la laine et de la soie ; pour celle du coton, les machines sont tout aujourd’hui.

On comprend donc la longue suprématie d’une nation outillée comme l’Angleterre. Aussi est-ce sur ce terrain que le combat est le plus rude. Nous avons pour nous, dans tout ce qui est façonné, la grâce du dessin, le bon goût des impressions ; l’Anglais a pour lui la régularité du tissu et quelques centimes de moins élevé dans le prix de revient. Chaque année, la distance se rapproche ; les efforts sont opiniâtres et incessants de part et d’autre ; mais des deux côtés l’intérêt est si immense, qu’il