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CIX
INTRODUCTION

culture en la perdant de vue pour consacrer ses faveurs à la fabrication et au commerce ? Suffisaient-elles surtout pour réparer le tort bien plus grave qu’elle avait souffert depuis que, pour changer les châtelains en courtisans, il était devenu de mode parmi les beaux esprits de Versailles de ridiculiser à tout propos le gentilhomme campagnard. Les conséquences de ces fautes ne tardèrent pas à se faire sentir. À la magnificence et aux guerres de Louis XIV succéda un état d’épuisement qui dut influer défavorablement sur l’agriculture. Aussi, pendant la première partie du xviiie siècle, ne trouve-t-on à glaner que quelques faits qui la concernent, par exemple l’organisation des haras en 1717 ; mais, dans la seconde partie du siècle, le souffle d’une nouvelle vie commence à l’animer. Louis XV fonde la Société royale et centrale d’agriculture et ses pépinières royales, Louis XVI fait replanter les vides de la forêt de Fontainebleau et de celle de Rambouillet ; en 1785, il envoie André Michaux aux États-Unis, afin d’y recueillir et d’y faire passer en France des graines et des plants d’arbres et arbustes propres à y être naturalisés ; dans le même but il adresse aux explorateurs La Pérouse et d’Entrecasteaux des instructions rédigées de sa propre main ; enfin, en 1786, il obtient du roi d’Espagne et établit à la ferme de Rambouillet un troupeau de mérinos d’où sont provenus presque tous les mérinos et les métis aujourd’hui répandus en France. En même temps, divers édits brisaient les barrières qu’opposaient au commerce intérieur des blés les droits d’impôts et de douanes qui, étant demeurés en la possession des provinces, variaient de l’une à l’autre ; d’autres arrêts exemptaient d’impositions les terres nouvellement défrichées ; d’autres encore supprimaient les corvées dans certains cas. De leur côté, les économistes de l’école de Quesnay contribuaient à relever l’agriculture dans l’opinion publique en s’efforçant de la faire considérer comme l’unique source de toute richesse, et Turgot non plus que Necker ne dédaignaient de prendre la plume pour développer leurs idées sur la question du commerce des grains.

L’art, guidé par les méthodes scientifiques, commençait aussi à s’asseoir sur des bases moins empiriques. Ainsi l’économie forestière s’enrichissait des nombreuses observations faites sur les bois par Réaumur, Buffon, Varenne, de Feuille, Duhamel-Dumonceau et Lamoignon de Malesherbes, qui pour faire un écrit utile n’avait eu qu’à observer les résultats de ses belles plantations. Dans l’horticulture, Duhamel-Dumonceau portait aussi son attention sur les arbres fruitiers. Roger Schabel formulait les procédés suivis par les habiles jardiniers de Montreuil et de Bagnolet dans la conduite des arbres en espalier ; Dumont de Courset contribuait plus que personne de son temps à acclimater et à faire connaître les espèces d’arbres exotiques, en les réunissant dans son magnifique établissement du Désert, situé à la naissance d’une petite vallée du bas Boulonnais, et en les décrivant dans son Botaniste-Cultivateur. Les jardiniers Richard et Legrand faisaient un nouveau pas dans l’art de forcer les cultures en obtenant pendant l’hiver, par le chauffage, des pêches, des cerises, des groseilles, des prunes et des fraises. La composition des jardins d’agrément se rapprochait de la nature en associant d’abord la bergerie au genre symétrique, puis en passant au genre pittoresque ou paysager dans lequel elle débutait en se passionnant d’abord pour les enfantillages du goût anglais ou les excentricités de l’architecture chinoise ; enfin Delille, Fontanes, Saint-Lambert, Cerutti, célébraient dans leurs vers les conquêtes et les merveilles de cet art.

L’agriculture proprement dite faisait des progrès moins rapides que l’horticulture. Cependant le Persan Althen introduisait la culture de la garance dans le comtat d’Avignon, Duhamel-Dumonceau cherchait à systématiser l’art en lui donnant pour unique base le labourage sans engrais, et Rozier en réunissait tous les préceptes dans son Cours complet d'agriculture, tandis que Daubenton s’efforçait en multipliant les essais d’établir l’éducation des bêtes à laine sur des principes exacts, et que les Sociétés d’agriculture, formées dès 1761 sur plusieurs points, contribuaient par leurs encouragements et leur exemple à hâter le progrès pratique.

Déjà. sans doute, il y a loin de, cet état de choses aux misères et aux calamités de l’âge précédent ; et cependant cette période, qui, ne craignons pas de le reconnaître, fut un progrès, a pour la génération actuelle un nom qui ne se prononce pas dans les campagnes sans être accompagné de souvenirs douloureux et de malédictions : c’était l’ancien régime. Que de progrès, en effet, étaient encore à réaliser ! Tout ce que l’agriculture doit à la Révolution de 1789 se résume dans un fait :