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LA FRANCE ILLUSTRÉE

tions, et la conscience des bienfaits à venir exaltait la reconnaissance du paysan jusqu’à la personnification sublime de la bergère de Vaucouleurs. Sans doute le peuple a largement payé depuis sa dette à la royauté ; mais, en étudiant la pénible élaboration du progrès, la lutte commune contre le passé féodal, on comprend le culte de nos pères pour la royauté et la persistance de leurs préjugés monarchiques.

De Henri IV à Louis XVI, on compte cent soixante édits, arrêts, ordonnances concernant le seul commerce des grains, que tantôt ils entourent d’entraves et tantôt affranchissent ou favorisent. Les forêts aussi attirent particulièrement l’attention des gouvernements ; mais la législation qui les concerne souffre moins de vicissitudes que celle des céréales. Trois ordonnances rendues par François Ier, en 1515, 1518 et 1537, ajoutent de nouvelles mesures à celles de Charles V. Un système d’aménagement uniforme commence à poindre ; le principe de la réserve des baliveaux sur taillis est établi ; les droits d’usage, de pâturage, de passage dans les forêts domaniales sont soumis à de nouvelles règles. Une pénalité plus spéciale frappe les délits forestiers ; certaines dispositions préservatrices sont déclarées applicables aux bois des particuliers s’ils le demandent ; les dilapidations des gens d’église sont réprimées. Dans le même siècle, on ajouta aux attributions des tables de marbre, antiques tribunaux des eaux et forêts, une juridiction extraordinaire sur les bois autres que ceux du roi ; on tenta même, mais sans succès, sous Henri II et Henri III, de les faire subsister à côté des parlements. Sous Charles IX, les édits de 1561 et 1563 soumirent à la surveillance des maîtrises royales les bois du clergé et des communes, ordonnèrent qu’un tiers fût réservé pour croître en futaie, et défendirent aux particuliers de couper leurs taillis avant dix ans d’âge. En 1594, Henri IV étendit à tout le royaume les juridictions forestières et chercha à lutter contre l’abus des usages. Sous le même roi, inspiré par Sully, qui, dans la persuasion que toute richesse a sa source unique dans l’agriculture, a été de tous les ministres le plus dévoué à sa prospérité, on facilita la circulation des produits par la diminution des droits qui la gênaient de province à province, de même que par la construction de routes et de canaux.

Un édit anoblit ipso facto les chefs des compagnies de desséchement et leur accorda différentes exemptions. L’ingénieur Bradley fut appelé de Hollande pour travailler au desséchement des marais ; le jardin de Montpellier fut fondé et une école de jardinage y fut annexée ; des pépinières de mûriers furent établies aux Tuileries et à Fontainebleau, et l’on permit le libre commerce des grains. Ce fut surtout à la fin du règne de Henri IV et dans la première moitié du xviie siècle que les résultats de cette sage économie se firent sentir : la France, suivant Sully, produisait en abondance tout ce qui est nécessaire ou convenable à la vie, et elle put exporter des produits de son sol. En 1621, par exemple, elle put vendre à l’Angleterre une grande quantité de blé. Louis XIII, d’ailleurs, marchait sur les traces de son père, lorsqu’il quittait la cour pour aller planter ou greffer des arbres avec ce même Claude Mallet avec lequel Henri IV aimait à s’entretenir ; lorsque, de lui-même ou à l’instigation de Richelieu, il appelait Van Ens de Hollande pour présider à des opérations de desséchement sur la rive gauche du bas Rhône et lorsqu’il créait le Jardin du roi à Paris. Son successeur, celui qu’on appelle le grand roi, délaissa l’agriculture pour les jardins. Ceux de Versailles, dont la composition fut confiée à Le Nôtre, prirent un caractère de pompe en harmonie avec celle de la cour, en même temps que la direction des jardins fruitiers et potagers de toutes les maisons royales fut confiée à La Quintinie, avec ordre d’y établir des écoles pratiques de jardinage. La Quintinie, dans son ouvrage publié en 1680, posa le premier en France les principes de l’horticulture, et particulièrement de la pomologie. Cependant Girardot traitait à Bagnolet les pêchers d’après des principes opposés, qui ont été adoptés par les habitants de Montreuil.

La partie de l’horticulture qui concerne spécialement les fleurs était alors l’objet d’une prédilection portée jusqu’à la folie dans les provinces du Nord ; et, pendant que l’art d’en obtenir de nombreuses variétés faisait de rapides progrès, Fagon débutait dans l’art des cultures forcées en construisant au Jardin du roi quelques serres à toit vitré, qu’il chauffait au moyen de fourneaux.

D’un autre côté, Colbert publiait sa célèbre ordonnance d’août 1669 sur les eaux et forêts, et cherchait par la publication d’une instruction générale à propager la culture de la garance ; mais ces mesures partielles suffisaient-elles pour compenser le dommage indirect qu’il causait à l’agri-