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CVII
INTRODUCTION

naire prescrivent et réglementent les défrichements. Les Sarrasins apportèrent dans le Midi quelques notions nouvelles ; d’importants travaux d’irrigation furent entrepris. Les croisades eurent aussi sur l’agriculture une influence favorable : le départ des seigneurs laissa aux cultivateurs un peu de paix et de liberté ; quelques serfs même purent se racheter, grâce aux besoins d’argent qu’avaient leurs maîtres pour leur voyage. À cette époque aussi quelques plantes utiles furent rapportées d’Orient.

Toutefois, aucune de ces améliorations n’a un caractère persistant et général ; le mal est seulement moins grand en proportion de l’atténuation des faits qui le causent. C’est ainsi que les terres du clergé, des grandes abbayes surtout, sont mieux cultivées, parce qu’elles sont moins exposées aux ravages de la guerre, parce qu’elles participent un peu de la stabilité de leurs possesseurs. Suger, abbé de Saint-Denis, constate dans ses comptes une augmentation du prix des fermages dans le même temps, plusieurs canons sont publiés par les autorités ecclésiastiques pour assurer la sécurité de l’agriculture. La période des guerres contre l’Anglais est une des plus tristes époques de notre histoire pour l’habitant des campagnes. La rareté des récoltes nécessite des lois contre l’exportation du blé et une fixation de son prix sur les marchés de l’intérieur. Il fallait aussi que de bien grands ravages eussent été commis dans nos immenses forêts ; car au xive siècle pour la première fois on semble prendre souci de leur conservation, on régularise les coupes et on y interdit le pâturage des bestiaux. Il existe, à la date de 1376, une ordonnance de Charles V qui pose les bases d’une véritable organisation forestière. On commence à avoir conscience du mal, ce qui est un progrès ; il est permis de pressentir des temps meilleurs ; c’est la fin de cette longue et cruelle période du moyen âge.

Si de cette époque nous nous reportons aux derniers jours de la domination romaine ; si nous comparons la France d’alors, avec ses forêts dévastées, ses terres en friche, ses chemins effondrés ou recouverts d’herbes stériles, avec sa culture restreinte à la ceinture des villes et à l’étroit espace que protège le clocher d’une abbaye ou l’ombre d’un donjon féodal ; si nous comparons cette France à la Gaule du iiie siècle, sillonnée de larges voies romaines, étalant de riants jardins autour de ses villas, nourrissant de nombreux troupeaux dans ses riches métairies, alimentant l’Italie du surplus de ses récoltes, échangeant et croisant ses races de bétail avec celles des provinces limitrophes, nous reconnaîtrons que bien des pas en arrière avaient été faits, et que si le bien devait sortir de cet excès du mal, nos malheureux ancêtres avaient payé bien cher le tardif progrès que nous allons enfin pouvoir signaler.


§ III. C’est encore par la transformation des jardins de plaisance qu’au sortir de cette longue et déplorable crise l’agriculture révèle son espèce de renaissance. Les fleurs commencent à entrer dans l’ornement des parterres ; on renonce à la monotonie des plates-bandes carrées, consacrées exclusivement jusque-là à la culture des plantes potagères et qui avaient le privilège d’entourer les habitations ; on utilise peu à peu le bois ou la prairie voisins ; le parc s’associe à l’architecture du manoir par l’élégant intermédiaire de la cour d’honneur ou d’un jardin qui participe de l’un et de l’autre, comme nous en offrent un exemple les dessins de Chenonceaux respectés par le temps. L’agriculture est entraînée dans ce mouvement de rénovation. Le mûrier est acclimaté dans les environs de Montélimar après la conquête de Naples par Charles VIII, vers 1494. L’importation du maïs suit de près la découverte de l’Amérique. Nicot, ambassadeur de France en Portugal, rapporte à Catherine de Médicis le tabac, dont la mode prend avec fureur et dont l’usage se répand d’une façon à peu près universelle. Enfin, vers le milieu du siècle suivant, paraît le premier ouvrage d’économie rurale écrit en français, les Moyens de devenir riche, par Bernard de Palissy, imité bientôt par d’autres publications : telles que celles de Gorgone de Corne en 1553, de Bellon et de David de Brossard en 1558. Ces faits, recueillis dans une période de cent cinquante ans environ, indices d’une situation nouvelle, sont le résultat des changements qui s’opéraient alors dans le régime gouvernemental de la France. Le pouvoir se centralisait et se faisait protecteur du paysan contre toutes les tyrannies intermédiaires qui pesaient sur lui auparavant. La guerre elle-même, ce grand fléau des campagnes, se modifiait par l’organisation d’une armée nationale. Les aspirations vers l’unité se faisaient jour de toute part ; la terre semblait ne pas même vouloir attendre les résultats du système nouveau : elle récompensait les inten-