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HISTOIRE RÉSUMÉE
DE L’AGRICULTURE DE L’INDUSTRIE ET DU COMMERCE
EN FRANCE

L’histoire des peuples jusqu’à nos jours a été presque exclusivement l’histoire des guerres qu’ils ont entreprises ou soutenues, le récit des batailles fameuses, des villes prises, des provinces dévastées ; épidémies, pestes, famines ont leur date scrupuleusement enregistrée ; c’est en quelque sorte la glorification traditionnelle de tous les fléaux qui ont arrêté les développements des nations et entravé la marche progressive de l’humanité. Après avoir obéi nous-même aux lois reçues et marché dans la voie tracée, nous essayerons de combler la regrettable lacune que nous sentons exister dans notre travail, en consacrant quelques pages à un côté trop oublié de nos annales, à une analyse succincte des arts pacifiques : agriculture, industrie, commerce, navigation, arts, auxquels notre patrie doit tout autant qu’à l’art de la guerre son organisation, sa durée et sa force.

La Gaule, dit maintes fois César dans ses immortels Commentaires, est une nation belliqueuse ; dix-huit siècles de luttes glorieuses ont confirmé l’assertion du grand capitaine ; mais si ce grand esprit, moins exclusivement préoccupé de la résistance et de la conquête, eût embrassé d’un coup d’œil plus général ce merveilleux pays dont les ressources inconnues le frappaient à chaque pas, sans doute il en eût fait encore un éloge plus complet, et il eût entrevu pour lui d’autres destinées que celle de fournir des gladiateurs aux cirques de Rome.

Ce sol, baigné par trois mers, arrosé par d’innombrables cours d’eau, situé sous une latitude favorable aux cultures les plus diverses, couvert d’immenses forêts, ressources inépuisables pour les défrichements futurs, habité par une race laborieuse et intelligente, ne semblait-il pas mieux préparé encore pour les conquêtes de la paix que pour les luttes de la guerre ?

Bien lente a été la réalisation des espérances que dès lors pourtant il était permis de concevoir ; mais, puisqu’il est donné à la génération présente de pouvoir apprécier sa patrie dans sa double gloire, puisque nous avons suivi la France sur tous ses champs de bataille, voyons-la à l’œuvre sur cette autre route en face d’obstacles d’une autre nature, luttant patiemment, en silence, et triomphant à la fin d’une façon moins éclatante peut-être, mais plus durable.

Dans un travail où tout s’enchaîne, mais qui exigerait de nombreux volumes, condamné à ne pouvoir consigner que les faits essentiels et les phases principales, nous avons adopté une division dont le principal mérite est la clarté : Agriculture, Industrie, Commerce et Navigation auront chacun leur chapitre particulier, subdivisé lui-même en trois parties répondant aux trois grandes périodes de notre histoire : gallo-romaine, moyen âge et moderne.


AGRICULTURE

§ Ier. Nous avons souvent eu à constater dans l’histoire particulière des départements l’immense étendue des forêts qui couvraient le sol de l’ancienne Gaule. Pour ne citer qu’un exemple, on sait que la fameuse forêt des Carnutes, touchant au nord-est à celle des Ardennes, dépassait au sud-ouest le territoire d’Orléans ; presque tous les grands plateaux du nord, du centre et de l’ouest étaient boisés. Il ne restait donc dans ces régions que des espaces relativement restreints pour le paturage des bestiaux et la culture des céréales. De cet état primitif des choses il est permis de conclure que les Gaulois vécurent d’abord en nomades dans ces contrées, se nourrissant du produit de leur chasse, du lait de leurs bestiaux, et tirant peu du sol, dont la culture était abandonnée aux esclaves.

C’est dans le midi que pénétra d’abord la civilisation à la suite des Phéniciens, des Carthaginois et des Phocéens. L’olivier, la vigne, le figuier furent plantés par eux sur cette terre dont ils devaient faire la richesse ; puis, autour des villes qui s’élevaient dans les terrains propres au jardinage, les nécessités de l’alimentation, les besoins du luxe firent appliquer les procédés empruntés à la Grèce. L’imitation de ces premiers essais s’étendit