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XCV
INTRODUCTION

raison de leur situation géographique. Les autres, isolées sur les frontières, ne se touchant entre elles que par quelques points, ont dû à leur position des caractères particuliers qui ne permettaient pas de les réunir. Celles-ci, au contraire, placées au centre dans des conditions presque semblables, n’ont guère pour se distinguer les unes des autres que les influences affaiblies de ces provinces frontières qui les touchent à peine. Sans doute, le génie du Forez n’est pas celui du Bourbonnais ; sans doute, le sévère Orléanais ressemble au Nivernais, qu’il joint par un seul côté, plutôt qu’à la Touraine, cette molle et rieuse patrie de Rabelais, qui forme une grande partie de ses limites ; mais ces différences même réelles sont plutôt des nuances que des diversités, et cette étude, tout intéressante qu’elle serait, sortirait du cadre étroit de cet aperçu. Qu’il suffise de dire que nous trouverons ici, en général, la vivacité et l’imagination méridionale mitigée et modifiée par le caractère plus réfléchi et le génie plus profond du Nord ; qu’ici plus que partout ailleurs nous trouverons des différences et des contradictions, selon que chaque écrivain aura été plus exposé à l’une ou à l’autre de ces influences, toujours plus puissantes sur des esprits qu’un ensemble de qualités mieux balancées dispose à recevoir plus facilement les empreintes.

Les poètes y sont en grand nombre, et quelques-uns tiennent les premiers rangs dans notre histoire.

Joachim du Bellay, qui lança le manifeste de la réforme de Ronsard, la Défense et illustration de langue françoise. Cet ouvrage est plein de verve et d’enthousiasme, et respire bien l’enivrement que fit alors éprouver aux intelligences délicates la découverte des trésors de l’antiquité. Malgré tout le mérite de ses poésies, cet ouvrage est son principal titre de gloire. Du Bellay s’y montre hardiment réformateur et ne veut rien moins qu’y substituer les formes antiques à la vieille littérature française. « Lis donc et relis premièrement, ô poète futur, disait-il, les exemplaires grecs et latins : puis me laisse toutes ces vieilles poésies françoises aux Jeux floraux de Toulouse et au puy de Rouen, comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles espiceries qui corrompent le goût de notre langue, et ne servent, sinon, à porter témoignage de notre ignorance. Jette-toi à ces plaisantes épigrammes..., à l’imitation d’un Martial. Si la lascivité ne te plait, mêle le profitable avec le doux ; distille avec un style coulant et non scabreux de tendres élégies a l’exemple d’un Ovide, d’un Tibulle et d’un Properce... Chante-moi de ces odes inconnues encore de la langue françoise, d’un luth bien accordé au son de la lyre grecque et romaine, et qu’il n’y ait rien où n’apparoisse quelque vestige de rare et antique érudition. »

Ronsard fut le premier à mettre en œuvre le programme de la réforme littéraire, rédigé par Joachim du Bellay. « D’abord, dit M. Demogeot, il essaya de créer d’un seul jet une langue poétique. Pour cela, il puisa sans ménagement aux sources grecques et latines... Mais, avec toute son audace, Ronsard luttait contre l’impossible. Les langues ne se font pas en un jour. Ce sont des terrains d’alluvion créés par le temps, de hautes pyramides auxquelles chaque jour apporte sa pierre en passant. » Cependant, Ronsard n’est pas moins un génie plein d’enthousiasme, de poésie. À côté des mouvements du lyrisme le plus fier, on rencontre dans ses œuvres des morceaux d’une fraîcheur et d’une grâce charmante. Tout le monde sait quelle admiration il excita dans son siècle, et a appris par cœur les vers si nobles et si parfaits que lui adressa Charles IX.

Baïf, un des disciples de Ronsard, né à Venise, appartient au Maine par son père ; il est connu par quelques vers, et par sa tentative hardie et infructueuse de soumettre la poésie française aux règles de la métrique ancienne.

Remi Belleau était aussi disciple et ami de Ronsard, qui faisait grand cas de ses poésies.

Avant eux, les auteurs du Roman de la Rose, Guillaume de Lorris, esprit délicat et doux, plus ingénieux que savant, plus naïf que hardi, et Jean de Meung, clerc libre-penseur, fort lettré et fort audacieux, qui entremêle ses longues dissertations, morales et immorales, d’invectives hardies contre les grands, les moines et le clergé ; doué d’une érudition immense, qu’il ne sut pas coordonner, mais qui créa le personnage de Faux-Semblant, un des ancêtres de Tartufe.

Desportes, disciple de Ronsard ; mais, instruit par son exemple, il sut se préserver de ses excès. Régnier, qui sut imiter les anciens sans les copier ; ses satires sont pleines de caractères très bien saisis ; mais son chef-d’œuvre est celui de Macette, la vieille hypocrite. On l’a comparé à Montaigne ;