Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XC
LA FRANCE ILLUSTRÉE

nulle part le cœur de l’homme n’a plus besoin du ciel. Là où les voluptés grossières sont à portée la nausée vient bientôt. La vie sédentaire de l’artisan assis à son métier favorise cette fermentation intérieure de l’âme. L’ouvrier en soie dans l’humide obscurité des rues de Lyon, le tisserand d’Artois et de Flandre, dans la cave où il vivait, se créèrent un monde au défaut du monde, un paradis moral de doux songes et de visions ; en dédommagement de la nature qui leur manquait, ils se donnèrent à Dieu. Le génie de Lyon est plus moral, plus sentimental du moins que celui de la Provence ; cette ville appartient déjà au Nord. »

Outre les noms que nous avons déjà cités, le Lyonnais a encore produit l’avocat Bergasse, Camille Jordan, Lemontey, tous deux également célèbres par leur éloquence et leur inviolable attachement aux idées libérales et au dogme de la liberté des cultes ; Roland, l’intègre ministre de la Révolution ; Brossette, l’ami et l’éditeur de Boileau ; Boucharlat, mathématicien et littérateur ; le comte d’Albon, le disciple de l’ami des hommes et le panégyriste de Quesnay ; le savant et profond économiste J.-B. Say ; l’abbé Terrasson, l’auteur de Séthos ; Ampère (André-Martin), mathématicien et philosophe ; l’abbé Morellet, homme et écrivain estimable, dont les mémoires sont si précieux pour l’étude du xviiie siècle ; de Gérando, le philosophe, qui, ainsi que presque tous les écrivains que nous venons de nommer, se distingua par un profond amour des hommes ; de Rochefort, le traducteur d’Homère et de Sophocle ; Antoine de Jussieu, le savant naturaliste, dont le génie se perpétua dans sa famille, et qui commença cette longue génération de savants qui devaient réformer la science et fonder la botanique sur des principes nouveaux ; Aimé Martin, poète et littérateur distingué, dont le nom est désormais inséparable de celui de Bernardin de Saint-Pierre ; Vitet, le spirituel et ingénieux académicien ; et M. de Senancourt, Lyonnais par sa famille, le mélancolique auteur du mélancolique Obermann, ce poème du désespoir.


Bourgogne. — Au nord de Lyon, nous trouvons Autun, la cité druidique que les Romains dépouillèrent de tout, pour la punir de la vénération qu’elle inspirait ; mais ils ne purent lui enlever ce génie austère qui en avait fait le centre de la lugubre religion de nos ancêtres. Jusqu’aux temps modernes, elle a donné des hommes d’État, des légistes, le chancelier Raulin ou Rolin, les Montholon, les Jeannis et tant d’autres. Et cet esprit sévère ne se borne pas dans Autun : Théodore de Bèze, né à Vézelay, fut l’orateur du calvinisme, le verbe de Calvin. Mais la gaie et vineuse Bourgogne ne ressemble en rien à ce triste et désolé pays du Morvan. « La Bourgogne est le pays des orateurs, celui de la pompeuse et solennelle éloquence. C’est de la partie la plus élevée de la province, de celle qui verse la Seine, de Dijon, de Montbard que sont parties les voix les plus retentissantes de la France, celles de saint Bernard, de Bossuet et de Buffon. Mais l’aimable sentimentalité de la Bourgogne est remarquable sur d’autres points, avec plus de grâce au nord, plus d’éclat au midi : vers Semur, la bonne Mme de Chantal et sa petite-fille Mme de Sévigné ; à Macon, Lamartine, le poète de l’âme religieuse et solitaire ; à Charolles, Edgar Quinet, celui de l’histoire et de l’humanité... Il ne faut pas oublier non plus la pittoresque et mystique petite ville de Paray-le-Monial, où naquit la dévotion du Sacré-Coeur, où mourut Mme de Chantal. Il y a certainement un souffle religieux sur le pays du traducteur de la Symbolique et de l’auteur de Solitude, MM. Guigniaut et Dargaud. »

La Bourgogne est aussi la patrie du grand orateur religieux de notre siècle, le P. Lacordaire.

Mais, si ce pays est celui de la grande éloquence, il est aussi celui de l’esprit et de la gaieté. Armand Gouffé, Radet, les gais chansonniers ; Bernard de La Monnoye, conteur charmant, auteur des Noëls bourguignons et en même temps savant distingué ; Papillon, contemporain et rival de Marot ; Piron, le fécond et spirituel épigrammatiste et l’auteur inspiré de la Métromanie, tous appartiennent à la Bourgogne, ainsi que les poètes Longepierre, Briffaut ; Boursault, l’auteur d’Ésope à la cour et à la ville, et Crébillon, le terrible tragique.

C’est encore là que sont nés Mme de Genlis, dont les nombreux écrits ne lassent pas l’intérêt ; Rétif de La Bretonne, le romancier si étrange, si effréné ; et Clément l’inclément, comme l’appelait Voltaire, et Berchoux, l’aimable chantre de la gastronomie.

Du reste, dans cette province, l’imagination et la poésie n’ôtent rien à la solidité de l’esprit ; et si la Bourgogne peut opposer avec orgueil ses poètes et ses orateurs à toute comparaison, elle n’a pas moins de savants : Clémencet, l’auteur de l’Art de vérifier les dates ; l’érudit et judicieux Bouhier ; Larcher, le savant helléniste et l’habile traduc-