Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LXXXVIII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

Jeanne Darc, Louis XI, Charles le Téméraire sont là, vivant, agissant, et nous suivons d’un regard avide chacun de leurs mouvements.

L’économie politique présente les noms de Blanqui et de Proudhon, tous deux diversement célèbres. Fourier aussi est né à Besançon. Au milieu de ses erreurs, on rencontre cependant des vues profondes, et ses adversaires mêmes ne peuvent méconnaître en lui un ardent amour de l’humanité et le désir sincère de lui être utile. — Les philosophes Droz et Jouffroy sont du même pays ; Jouffroy, cette âme mélancolique et profonde, d’une grandeur si simple, d’une si touchante poésie. À ces noms s’ajoute celui de Louise Serment, le philosophe de Grenoble. — Parmi les théologiens, nous remarquons Guillaume Saint-Amour, l’adversaire du mysticisme des ordres mendiants ; Gerson, chez qui le mysticisme chrétien n’amollit pas l’énergie dans la conduite de la vie ; et enfin, parmi les naturalistes, Ramond de Carbonnières, l’historien ou, comme l’appelle Michelet, le poète des Pyrénées ; et l’immortel Cuvier, dont le génie perça si profondément les secrets de la nature, qu’il sembla en avoir saisi par une sorte d’intuition le plan tout entier.

Les orateurs sont : Servan, dont les discours judiciaires et politiques sont remarquables par leur vigueur, et à qui il n’a manqué qu’un goût plus pur ; Mounier ; Barnave, l’adversaire de Mirabeau ; Casimir Périer, l’orateur politique et le plus grand homme d’État de la monarchie de Juillet.

La littérature proprement dite est aussi représentée par des noms bien connus ; Mme de Tencin, dans les romans de laquelle on trouve moins peut-être la vivacité de l’imagination et du sentiment qu’une singulière finesse d’analyse et d’observation ; Mme de Graffigny, dont les Lettres péruviennes sont un tableau souvent saisissant des mœurs de son temps ; Brillat-Savarin, l’ingénieux et piquant physiologiste du goût ; Charles de Bernard, dont les nouvelles et les romans présentent un intérêt toujours soutenu ; et enfin Ch. Nodier, que nous avons déjà eu l’occasion de citer, et qui eut l’art d’attacher tant de charme aux sujets les plus légers.

Les poètes eux-mêmes retiennent une forte part de cet esprit critique et sévère. Leurs caractères sont la finesse, la netteté, l’énergie, la délicatesse, l’analyse savante, plutôt que l’imagination, qui entraîne et enlève. Les uns se sont voués au théâtre, comme Mairet, Campenon, Guilbert de Pixérécourt, Casimir Bonjour, Andrieux, Émile Augier ; ou à la satire, comme Gilbert ; ou au genre descriptif, comme Saint-Lambert ; ou à l’élégie, comme Mmes Desbordes-Valmore et Tastu ; ou à la poésie légère, comme Boufflers. Quelques-uns, comme François de Neufchâteau, ont essayé leurs talents sur des sujets plus variés ; mais dans aucun l’imagination n’est la qualité dominante. Et cependant, parmi ces noms, plus d’un est entouré d’une gloire justement méritée. Un seul nom imposant pourrait nous être cité, celui de Victor Hugo ; mais le hasard seul le fit naître à Besançon, où il ne resta que peu de jours. Son père était Lorrain, sa mère Vendéenne. Après avoir passé une partie de son enfance en Espagne, il revint à Paris. C’est la combinaison de toutes ces influences qui a fait le caractère si multiple de son génie, et sa naissance à Besançon ne pouvait guère influer sur sa destinée. Nul poète n’a plus subi les influences de son temps. Royaliste et religieux sous la Restauration, libéral en 1830, républicain socialiste en 1848 et 1870, il a chanté toutes les causes et pour tous les partis, et marqué toutes ses étapes par des chefs-d’œuvre. Il est le chef de cette nouvelle école littéraire qui, sous le nom de romantisme, a prétendu réformer la langue française et le théâtre et qui n’a produit encore, — sauf dans la poésie lyrique, — que des fruits imparfaits ou exagérés. Victor Hugo n’en reste pas moins un grand magicien en fait de style, et son nom planera sur le xixe siècle comme celui de Ronsard, le chef poétique de la Renaissance, sur celui de François Ier.

C’est également de la Franche-Comté qu’est sorti l’auteur de ce chant immortel qui conduisit si longtemps nos armées à la victoire, la Marseillaise, tout enflammée de patriotisme et d’amour de la liberté ; Rouget de l’Isle était de Lons-le-Saunier.


Lyonnais. — « Derrière cette rude et héroïque zone de Dauphiné, Franche-Comté, Lorraine, Ardennes, dit Michelet, s’en développe une autre tout autrement douce et plus féconde des fruits de la pensée. Je parle des provinces du Lyonnais, de la Bourgogne et de la Champagne. Zone vineuse, de poésie inspirée, d’éloquence, d’élégante et ingénieuse littérature. Ceux-ci n’avaient pas, comme les autres, à recevoir et à renvoyer sans cesse le choc de l’invasion étrangère. Ils ont pu, mieux abrités, cultiver à loisir la fleur délicate de la civilisa-