Page:Malot - Visite aux vieux, 1888.djvu/2

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tiens, dit tout à coup la jeune femme, vois-tu… c’est lui.

Un vieillard à barbe blanche, une rame à la main qu’il appuyait au fond de la rivière, faisait doucement glisser un bachot dans lequel il se tenait debout.

— Va-t-il être surpris ! taisons-nous.

Et ils marchèrent avec précaution sans plus rien dire.

Arrivés au porche, ils passèrent dessous dans le rose de la vigne vierge et, tout de suite, ils virent une petite maison en galandage que le cellier leur avait cachée jusque-là.

— Pour le coup, nous y sommes, dirent-ils ensemble et très haut cette fois.

Le vieillard se retourna et dans l’émoi de la surprise enjamba précipitamment son bachot qui heurtait la rive. Sur la terre ferme, il eut une minute d’indécision, mais bientôt il vint, sa callotte à la main, au-devant des visiteurs.

— Est-ce possible ! dit-il.

— Oui, c’est bien nous et, le plus gentil, c’est que nous vous avons découvert sans demander d’indication à personne. Nous nous sommes dit : ça doit être là, c’était là et nous vous saisissons sur le vif…

— En sabots, au milieu de mes travaux. Enfin, vous m’excuserez. Je nourrissais mes poissons. Ce sont des enfants que j’ai immergés au mois de mars… Mais je vais appeler ma femme ; comme elle va être contente !

Il avança de quelques pas vers la maison.

— Descends vite, cria-t-il, c’est Françoise et son mari.

Il y eut, derrière les vitres du premier étage, un mouvement, des bras s’agitèrent, puis la fenêtre redevint noire et plus rien. Ce fut seulement au bout de quatre ou cinq minutes qu’une femme âgée, aux yeux mélancoliques, parut dans le jardin.

— C’est donc vrai, fit-elle avec émerveillement, le croiriez-vous, de là-haut, je ne vous avais pas bien reconnus… des élégants chez nous !

Elle embrassa le mari et la femme.

— Vous allez monter, nous habitons le premier ; en bas il fait déjà trop humide : l’hiver arrive.

Ils escaladèrent les uns derrière les autres l’escalier de sapin qui criait sous les pas, et entrèrent directement dans