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Quand j’avais pensé à ce moment, je m’étais imaginé que j’éprouverais un élan qui me pousserait dans les bras de mon père ; je ne trouvai pas cet élan en moi. Cependant je m’avançai et j’embrassai mon père.

– Maintenant, me dit-il, voilà ton grand-père, ta mère, tes frères et tes sœurs.

J’allai à ma mère tout d’abord et la pris dans mes bras ; elle me laissa l’embrasser, mais elle-même elle ne m’embrassa point, elle me dit seulement deux ou trois paroles que je ne compris pas.

– Donne une poignée de main à ton grand-père, me dit mon père, et vas-y doucement, il est paralysé.

Je donnai aussi la main à mes deux frères et à ma sœur aînée ; je voulus prendre la petite dans mes bras, mais comme elle était occupée à flatter Capi, elle me repoussa.

Tout en allant ainsi de l’un à l’autre, j’étais indigné contre moi-même ; eh quoi ! je ne ressentais pas plus de joie à me retrouver enfin dans ma famille ; j’avais un père, une mère, des frères, des sœurs, j’avais un grand-père, j’étais réuni à eux et je restais froid ; j’avais attendu ce moment avec une impatience fiévreuse, j’avais été fou de joie en pensant que moi aussi j’allais avoir une famille, des parents à aimer, qui m’aimeraient, et je restais embarrassé, les examinant tous curieusement, et ne trouvant rien en mon cœur à leur dire, pas une parole de tendresse. J’étais donc un monstre ? Je n’étais donc pas digne d’avoir une famille ?