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– J’aimerais mieux que tu cognes, j’aurais moins de chagrin : notre pauvre vache, la vache du prince !

Il se mit à pleurer.

Alors ce fut à moi de le consoler en lui expliquant que notre position n’était pas bien grave ; nous n’avions rien fait, et il ne nous serait pas difficile de prouver que nous avions acheté notre vache, le vétérinaire d’Ussel serait notre témoin.

– Si l’on nous accuse d’avoir volé l’argent avec lequel nous avons payé notre vache, comment prouverons-nous que nous l’avons gagné ? tu vois bien que quand on est malheureux, on est coupable de tout.

Mattia avait raison, je ne savais que trop bien qu’on est dur aux malheureux ; les cris qui venaient de nous accompagner jusqu’à la prison ne le prouvaient-ils pas encore ?

– Et puis, dit Mattia, en continuant de pleurer, quand nous sortirons de cette prison, quand on nous rendrait notre vache, est-il certain que nous trouverons mère Barberin ?

– Pourquoi ne la trouverions-nous pas ?

– Depuis le temps que tu l’as quittée, elle a pu mourir.

Je fus frappé au cœur par cette crainte : c’était vrai que mère Barberin avait pu mourir, car bien que n’étant pas d’un âge où l’on admet facilement l’idée de la mort, je savais par expérience qu’on peut perdre ceux qu’on aime ; n’avais-je pas perdu Vitalis ? Comment cette idée ne m’était-elle pas venue déjà ?