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SANS FAMILLE

— Tu auras encore plus faim ce soir.

— Quel malheur que ce garçon n’ait pas eu de montre dans son garde-meuble ! Nous saurions l’heure ; la mienne est arrêtée.

— La mienne aussi, pour avoir trempé dans l’eau.

Cette idée de montre nous rappela à la réalité. Quelle heure était-il ? Depuis combien de temps étions-nous dans la remontée ? On se consulta, mais sans tomber d’accord. Pour les uns, il était midi ; pour les autres six heures du soir, c’est-à-dire que pour ceux-ci nous étions enfermés depuis plus de dix heures et pour ceux-là depuis moins de cinq. Ce fut là que commença notre différence d’appréciation, différence qui se renouvela souvent et arriva à des écarts considérables.

Nous n’étions pas en disposition de parler pour ne rien dire. Lorsque la discussion sur le temps fut épuisée, chacun se tut et parut se plonger dans ses réflexions.

Quelles étaient celles de mes camarades ? Je n’en sais rien ; mais si j’en juge par les miennes elles ne devaient pas être gaies.

Malgré l’esprit de décision du magister, je n’étais pas du tout rassuré sur notre délivrance. J’avais peur de l’eau, peur de l’ombre, peur de la mort ; le silence m’anéantissait ; les parois incertaines de la remontée m’écrasaient comme si de tout leur poids elles m’eussent pesé sur le corps. Je ne reverrais donc plus Lise, ni Étiennette, ni Alexis, ni Benjamin ? qui les rattacherait les uns aux autres après moi ? Je