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SANS FAMILLE

de résistance à la mort que Pagès et Compayrou.

— Toi, magister, tu as plus de soixante ans.

— Oh ! moi je ne compte pas, d’ailleurs je suis habitué à ne pas me gaver de nourriture.

— Par ainsi, dit Carrory après un moment de réflexion, le pain aurait donc été pour moi si j’en avais eu ?

— Pour toi et pour Rémi.

— Si je n’avais pas voulu le donner ?

— On te l’aurait pris, n’as-tu pas juré d’obéir ?

Il resta assez longtemps silencieux, puis tout à coup sortant une miche de son bonnet :

— Tenez, en voilà un morceau.

— C’est donc le bonnet inépuisable que le bonnet de Carrory ?

— Passez le bonnet, dit le magister.

Carrory voulut défendre sa coiffure ; on la lui enleva de force et on la passa au magister.

Celui-ci demanda la lampe et regarda ce qui se trouvait dans le retroussis du bonnet. Alors, quoique nous ne fussions assurément pas dans une situation gaie, nous eûmes une seconde de détente.

Il y avait dans ce bonnet : une pipe, du tabac, une clef, un morceau de saucisson, un noyau de pêche percé en sifflet, des osselets en os de mouton, trois noix fraîches, un oignon : c’est-à-dire que c’était un garde-manger et un garde-meuble.

— Le pain et le saucisson seront partagés entre toi et Rémi, ce soir.

— Mais j’ai faim, répliqua Carrory d’une voix dolente ; j’ai faim tout de suite.